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42 LES CHASSEURS DE RENNES. au bord du sentier. L'évanouissement ne fut pas long. — J'ai eu peur, murmura-t-il, en revenant à lui. Par- donnez-moi, mon ami, et embrassons-nous. Je l'embrassai. Cette scène m'avait ému et me fit ou- blier les discussions aigre-douces dont nous avions émaillé la matinée. Pendant ces épanchements fraternels , les hommes étudiaient avec stupéfaction les traces de la balle, et ne pouvaient comprendre comment une blessure de la gros- seur du doigt, avait pu causer la mort d'une aussi puis- sante bête. J'ouvris l'animal avec mon couteau, et je leur montrai la balle, qui, pénétrant de bas en haut, avait tra- versé le cœur et s'était allée loger entre deux vertèbres. On détacha la tète pour la porter au village. Des crocs à l'occiput elle mesurait environ quatre-vingts centimètres. Qu'on juge d'après cela de la taille du monstre. Les chasseurs s'en approchèrent tour à tour, l'accablèrent d'injures, crachèrent dessus et le couvrirent d'immondi- ces. Le coup de pied de l'âne ne manque jamais aux géants tombés. Le docteur se trouvant dans l'impossibilité de nous suivre, retourna au village en compagnie de deux hommes, qui se chargèrent de mon trophée de chasse avec mission secrète de le déposer aux pieds d'I-ka-eh. XVIII Le cœur humain est égoïste. J'avais pour mon compagnon d'aventures une sincère affection, augmentée encore par les périls partagés, et pourtant j'éprouvai, pour la seconde fois, depuis vingt- quatre heures, je ne sais quelle satisfaction à me trouver