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                  LES CHASSEURS DE RENNES.                271

    En cet instant, notre ligne de défense était forcée de
toutes parts. Je m'élançai vers la pointe du Rocher dans
 la direction d'I-ka-eh, au milieu des femmes, des en-
fants, des vieillards que je renversais, que je foulais aux
pieds, et dont les gémissements confondus ne faisaient
plus qu'un horrible cri d'épouvante et de douleur, un
râle poussé par mille poitrines à la fois.
   Â l'extrémité du Rocher, I-ka-eh, cherchant à percer
les ténèbres de son regard, était debout, au bord de l'es-
carpement, les bras étendus en avant, les yeux fixes,
effrayante comme un spectre. Je la saisis, je l'enveloppai,
je me cramponnai à elle pour lui faire un rempart de
mon corps. Mais se dégageant de mon étreinte avec une
irrésistible énergie, elle se renversa en arrière et dispa-
rut dans le vide béant en poussant un cri qui domina le
tumulte de la mêlée.
    Je demeurai un instant immobile d'horreur. Devant
moi s'ouvrait la crevasse, par où, quelques jours avant,
s'était glissé Patte-de-Tigre. Je m'y précipitai, et j'arri-
vai, je ne sais comment, au pied du Rocher, roulant,
glissant, sans avoir conscience du danger. Puis je courus
éperdu, et j'allai tomber sur un obstacle auquel mes pieds
 se heurtèrent. C'était le corps chaud et palpitant d'1-ka-eh.
Je me relevai; je la saisis, je la chargeai sur mes épaules
et je continuai ma course en descendant vers la vallée.
   Les cris et le tumulte redoublaient au sommet du Ro-
cher, et j'entendis des bruits sourds comme si on préci-
pitait des êtres humains du haut de la falaise. Sans m'ar*-
rêter, sans regarder en arrière, je traversai l'espace
occupé jadis parle pauvre village des chasseurs de rennes
et marchant droit devant moi, j'entrepris de gravir la
pente du Mont-de-Pouilly, opposée au Rocher. Mon far-
 deau m'écrasait ; mes jambes pliaient sous moi et je tré-