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44                LES CHASSEURS DR RENNES.

 en silex. Tous enfin portaient, pliée sur l'épaule, une peau
 de renne complète, avec les pattes, la tète et les bois.
   Patte-de-Tigre dépassait tous ses camarades de la
 hauteur de la tête. C'était un colosse, dur et souple com-
 me l'acier. Mais son front étroit, sa tête pointue, ses
yeux enfoncés, ses pommettes larges et saillantes, sa
mâchoire proéminente lui donnaient un air cruel et bes-
tial. Il se peignait la figure en rouge, avec une terre
ocreuse ou de la sanguine, et, pour compléter l'heureux
effet de ce badigeon, s'était planté dans la narine gau-
che une longue épine. Son cou jaune et allongé sortait
comme un cou de vautour de sa robe velue, et ses che-
veux durs, épais, raides et graisséslui formaient unelarge
et impénétrable coiffure naturelle.
   Je me laissais docilement guider par mes compagnons.
Mais au demeurant, je connaissais le pays aussi bien
qu'eux, malgré des changements qui n'en altéraient point
la configuration générale. Il y avait plus que de la mé-
lancolie, mais de la désolation dans cette campagne que
j'avais connue couverte de vignes, de champs et de vil-
lages, et que je voyais sauvage, inculte, aride, pleine de
mystères et de dangers, en proie aux bêtes, à peine ex-
plorée par l'homme, qui ne s'avançait qu'en tremblant
par ses étroits sentiers de chasse, à travers la prairie et
la forêt. J'éprouvais ce qu'on éprouve en pleine mer, sous
l'étreinte des grands horizons de ciel et d'eau, les an-
goisses du désert, l'effroi de l'infini et des solitudes sans
bornes. Et je songeais à tous les grands combats de sueur
et de sang qu'il a fallu livrer pour féconder cette terre et
faire la France et l'Europe ce qu'elles sont aux temps
modernes.
   Nous atteignîmes, en cheminant sous bois, les sommets
rocheux qui séparent aujourd'hui Leynes de Fuisse. De-