Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
80                 MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.
il rien à regretter du Côté de la vigueur? le burin a-l-ii été tenn d'une main
assez ferme? C'est au lecteur de répondre.
    Sans doute, la grande et simple manière de Molière restera toujours l'idéal
de l'art comique; mais, aux époques de civilisation avancée, il faut bien
reconnaître que la manière de Beaumarchais a des chances de prévaloir.
Avec ses raffinements, ses traits bien aiguisés, ses intentions mordantes,
son style fouillé, elle élonne davantage les esprits blasés, pour lesquels le
simple n'a plus de charme. Que si le poète veut alors retourner au simple,
il risque de tomber dans le pâle, ce qui n'est certes pas la même chose.
C'est pourquoi je me sens, tont en me le reprochant d'ailleurs, un faible
pour le procédé de Beaumarchais, et je me ressouviens encore avec déli-
ces du Mercadet de Balzac.
   L'avouerais-je ? le caractère du marquis de la Seiglière ne me semble pas
fait tout d'une pièce. Je trouve qu'il fléchit trop vite au dernier acte. Ce
modèle des marquis en a bien vite pris sou parti avec la Révolution et les
 mésalliances, Sa parole donnée à la Baronne ne lui pèse guère. Je crois
qu'il eût peut-être mieux valu mettre alors en évidence Mlle de la Seiglière
elle-même. C'était à elle qu'il appartenait d'amener son père à consentir à
son mariage ; n'est-elle pas, en effet, par une idée charmante et profonde
de l'auteur, chargée de réconcilier deux générations, d'effacer les préjugés,
desceller l'alliance du passé et de l'avenir? Je suis fâché que maître Des-
 tournelles prenne dans ce moment l'importance du Dens ex machina de la
 pièce. Ce monsieur tient trop de place dans ie drame.
    J'en ai fini avec ces critiques qui n'affaiblissent en rien ma sympathique ad-
 miration pour cette œuvre si élevée ; elle fait honneur, non seulement à M.
Sandeau, mais aussi à M. Régnier, l'excellent sociétaire du Théâtre-Français,
 qui s'est associé à cette oeuvre par ses sages conseils , son goût éclairé et son
 expérience de la scène. Lambert a joué le marquis avec sa bonhommie et sa
 verve ordinaires. Que n'y a-t-il ajouté un peu de la suprême distinction que
 demande ce rôle. Vernier a été d'une tenue parfaite dans le sien, lançant le
 mot avec adresse, de manière à faire valoir toute la pensée de l'auteur. Quant
 à MUe'Corès, elle possède à un haut degré une qualité que je prise beaucoup,
 le sentiment du tact et des convenances, la grâce sans la minauderie, la grâce
qui se respecte.
                                                           J. T.


        Léon BOITEL, directeur-gérant.