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M. VIVIER. 391 tère que les acousticiens ne peuvent analyser et que les musiciens ne devi- nent pas. Ceux que rien n'étonne et qui veulent tout expliquer, prétendent que Vivier chante en même temps qu'il pousse l'air dans le tube de son ins- trument : ceci ne serait déjà pas très-facile ; mais en admettant même celle explication, on ne comprendrait pas davantage qu'il pût chanter trois notes à la fois. 11 faut renoncer à comprendre par quels moyens cet effet se produil. Comme on le voit, Vivier n'exécute guère de difficultés sur son instrument, il ne fait que des impossibilités. Si nous prenons maintenant Vivier comme compositeur, il ne nous paraîtra pas moins étrange > car ses compositions ne se rapportent à aucune catégorie de morceaux. Ce sont de petites mélodies , qu?il chante en s'aceompagnant avec le violon ; mais ce qu'il chante n'est pas exécuté avec la voix telle qu'on l'emploie dans les morceaux de chant : sa voix tient de l'enrouement, du na- sillement, de la tète, que sais-je ? Et cela est charmant , doux , plaintif , mé- lancolique et d'un poésie indicible. Quelquefois Vivier ajoute des paroles à ses mélodies, elles n'en deviennent que plus touchantes ; il en est deux ou trois que je n'ai jamais pu entendre sans pleurer. Joiguez au charme de ces mé- lodies l'élégance des modulations harmoniques les plus neuves et les plus va- riées, et vous vous ferez encore difficilement une idée de la perfection de ces petits morceaux, qu'en ne peut se lasser d'entendre. Pendant le dernier séjour que Rossini fit à Paris, il n'alla pas une seule fois au théâtre et ne voulait entendre aucune espèce de musique. Duprez , qu'il ne connaissait pas , avait été seul admis à lui chanter quelques passages de Guillaume Tell. Je demandai un jour à Rossini la permission de lui amener Vivier. — Qu'est-ce que cela , Vivier ? — C'est un cor qui chante et qui joue du violon. — Ça doit être joli.— Oui, c'est très joli. —Vous m'en répondez?.,. Joue-t-il longtemps ? — Il joue fort peu lorsqu'on l'en prie beaucoup, et quel- quefois même il ne joue pas du tout. — Alors, amenez-le moi , je vous ré- ponds que je ne le tourmenterai pas. Le lendemain , Vivier vint avec moi. Au bout d'une demi-heure de conver- sation , pendant laquelle Rossini se tordait de rire sur son fauteuil , il pria Vivier de lui faire entendre un petit morceau, puis un second, puis un troi- sième, et nous ne nous retirâmes qu'à une heure du matin. Mais il fallut pro- mettre de revenir le lendemain , et chaque soir nous y retournâmes jusqu'au départ de Rossini. J'ai dit que Vivier jouait de préférence pour les (êtes couronnées, aussi ne se faisait-il jamais prier pour jouer devant Rossini. Celui-ci ne pouvait se las- ser de l'entendre , et moi je profilai! de cette bonne fortune , et je me Sur- prends quelquefois à être obligé de désirer qu'un nouveau voyage de Rossini" me procure encore l'occasion de jouir du talent de Vivier, car, malgré ma liaison assez intime avec ce célèbre capricieux, je ne me rappelle pas l'avoir entendu plus d'une ou deux fois sur le cor depuis cette époque. Ap. ADAM (de l'Institut.)