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126                          A. BRISEUX.
popularité des lectures de famille et des chastes rêveries de
jeune femme. Voilà une fortune rare pour une œuvre de franche
poésie ; M. Brizeux la doit, autant qu'au talent, à l'exquise pureté
morale qui fait de ce livre une offrande permise aux plus virgi-
 nales imaginations. A part Lamartine et quelques pièces de
 "Victor Hugo, les vers en France ne pénètrent guère dans certains
intérieurs honorables et réguliers qu'à la condition d'être à la
 fois honnêtes comme sentiment et absolument nuls comme
imagination et style. Le critique le plus compétent en matière
de poésie, M. Sainte-Beuve, écrivait il y a quelques jours à pro-
pos du public en général : « En France ce n'est que par le sen-
timent et la passion dramatique, et aussi par un coin d'esprit
 qu'on y mêle, que le public peut accepter, j'ai presque dit peut
 pardonner la poésie; à l'état pur, elle n'existe guère que pour
les poètes entr'eux. » Le volume de.Marie existe, non seulement
pour les poètes mais pour le public, y compris la portion la
 plus rétive à la vraie poésie.
    Si aimé que soit ce recueil, l'œuvre la plus magistrale et la plus
 personnelle de Brizeux, c'est son poème : Les Bretons ; ce livre
 surtout le classera à la belle et noble place que lui doit l'histoire
 littéraire. C'était, nos habitudes poétiques étant données, l'œu-
 vre la plus difficile peut-être qui eût été essayée en France par
 un poète. Peindre des mœurs rustiques sans trivialité comme
 sans afféterie ; mettre en scène de vrais paysans, sans les
 appeler ni Tircis ni Jacquot -, être dans la réalité, dans une réa-
 lité inculte et parfois grossière, Sans sortir des conditions du
 style, le problème, avec nos traditions classiques, paraissait
 insoluble. Le sujet des Bretons c'est, au milieu du développe-
 ment d'une action très-simple, le tableau des mœurâ, des croyan-
 ces, de la vie de tous les jours des paysans de l'Armorique. C'est
 non seulement le labourage, la pêche, la navigation, les légen-
  des, mais le jour de foire, la cuisine, le cabaret. Pour échapper
  à la trivialité, le poète décidé à être vrai, avait, il faut le dire,
  une grande ressource dans la nature même de ses héros. Le
  paysan breton est resté primitif, inculte, sauvage si l'on veut,
  mais il est noble comme tout ce qui est primitif. Chez les popu-