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gloire littéraire que l'Académie était si empressée de s'adjoindre, c'est M. Va-
tout, l'illustre M. Vatoul !
   Outre ce malheur d'être un homme indépendant, M. de Vigny en a un que
l'on pardonne difficilement en France, M. de Vigny est un poète, un vrai poète;
à l'Académie au moins ce ne devrait pas être là une cause d'exclusion, mais la
société est ainsi faite vis-à-vis de la poésie, que la plupart du temps, ceux-là
seuls qui ne le sont pas osent s'avouer poètes, les autres se déguisent toujours
sous quelque costume étranger. M. de Vigny serait presque seul, dans l'Aca-
démie, à n'avoir de prétentions ni à l'économie politique, ni à l'administration
ni à la diplomatie. Voyez M. de Lamartine; comme il a été bien vite las de
n'être rien autre chose que le prince des poètes de ce temps ! Comme il a bien
compris que pour a^ oir une position dans le monde il ne suffisait pas d'être un
grand écrivain, il fallait être membre d'un conseil général, et député, et rap-
porteur de commissions. Et voyez la chambre, voyez la presse comme tous ont
bien fait sentir au poète quelle grâce immense on lui accordait en lui permet •
tant de siéger avec des hommes sérieux, avec les trois cents avocats, maîtres
de forges et banquiers, qui font notre politique ! Souvenez-vous pendant com-
bien d'années avant de reconnaître en lui un de nos plus beaux talents oratoires,
on a traité d'élégies ses discours si pleins de conscience et de haute raison !
Et lui, le poète, comme il a demandé humblement pardon aux collègues de
M . Marlineau d'avoir donné à la France les Méditations et les Harmonies ;
comme il s'est défendu d'avoir fait de la poésie l'occupation de son âge mûr ;
comme il a fait amende honorable de son génie ! lisez plutôt la préface des
Recueillements. Et pourtant à force d'humilité et de contrition, à force de rap-
port sur des centimes et des kilomètres, c'est à peine s'il est parvenu à laver sa
tache originelle aux yeux du monde dans lequel il est descendu. Chaque parti ne
manque jamais de la lui rappeler toutes les l'ois qu'il se permet d'être d'un avis
contraire au sien ; et tous les jours il entend, ou du National, ou de la Gazelle
ou des Débats, tomber sur son front cette épilhète foudroyante : Poète ! Or,
si quelqu'un porte fièrement, et sans envie de l'abdiquer, le nom de p o è t e ,
c'est M . de Vigny ; dequis qu'il a déposé son épée, il n'est devenu que nous
sachions ni du conseil d'état, ni d'une chambre de commerce, ni de l'univer-
sité * que voulez-vous que l'Académie française fasse de lui i1 puisqu'il n'a pas le
      ,
bonheur d'avoir professé, jadis, avec un ministre, d'aujourd'hui, qu'il se fasse
seulement député du centre, et son élection est assurée. Mais non, il sait ce que
les amis de son talent espèrent de lui ; il attendra, mais il ne changera pas ; il
restera le candidat d e l à poésie ; il représentera la poésie sans alliage, la poé-
sie dans son majestueux isolement ; la poésie saura bien lui faire ouvrir les
portes, et ce jour là sera tin beau jour pour tous les fidèles de la muse que
l'auteur de Chatterton, a si bien défendus et si bien consolés.