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383 Me : notre littérature n'a pas su tirer de son propre sein ni faire germer sur le sol français la plus belle fleur de poésie. Par une nouvelle et non moins bizarre destinée, l'ode majes- tueuse et fière ne serait peut-être jamais née en France sans cette invasion subite de tous les chefs-d'œuvre de la littérature ancienne, qu'on a consacrée par le nom de renaissance. Nos poètes et nos prosateurs trouvèrent là des modèles pour tous les genres ; ils y puisèrent à larges mains comme dans des trésors intarissables, et à cela seulement nous devons l'introduction en France de la poésie lyrique. Frappé du contraste qui régnait entre ce genre de beautés des littératures grecque et latine et celui qui dominait alors dans notre littérature naissante, saisi surtout d'admiration pour ces tons graves, nobles, éclatants du langage antique, pour ces torrents de poésie qui débordaient de toutes parts, Ron- sard s'identifie avec la Grèce et avec Rome. Emporté par son enthousiasme ardent, mais mal entendu, il reproduit dans sa langue toutes les formes de la poésie ancienne. Il veut calquer servilement ses odes sur l'ode pindarique, et cette audacieuse innovation fut à son époque un de ses plus beaux titres de gloire. Malheureusement ses odes ainsi copiées ne produisi- rent qu'un amas confus d'idées grotesques exprimées dans un lan- gage inintelligible et barbare ; je n'en veux pour témoin que son ode à L'Hospital, que personne aujourd'hui n'aplus le courage délire. Mais toute réforme, toute rénovation poussée à l'ex- cès, ne doit exciter d'abord que les rires et le dédain, et c'est à la condition seulement de trancher dans le vif, que l'on est vraiment réformateur. Tel fut le caractère des premiers essais de Ronsard; cependant l'impulsion était donnée, les esprits étaient désormais retrempés à une source pure et toute nou- velle ; le temps devait apaiser ce qu'il y avait d'imprudent et de téméraire dans l'entreprise, et ce moule, d'abord informe de la poésie lyrique, se façonna bientôt, se perfectionna môme