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Me : notre littérature n'a pas su tirer de son propre sein ni
faire germer sur le sol français la plus belle fleur de poésie.
Par une nouvelle et non moins bizarre destinée, l'ode majes-
tueuse et fière ne serait peut-être jamais née en France sans
cette invasion subite de tous les chefs-d'œuvre de la littérature
ancienne, qu'on a consacrée par le nom de renaissance. Nos
poètes et nos prosateurs trouvèrent là des modèles pour tous les
genres ; ils y puisèrent à larges mains comme dans des trésors
intarissables, et à cela seulement nous devons l'introduction
en France de la poésie lyrique.
   Frappé du contraste qui régnait entre ce genre de beautés
des littératures grecque et latine et celui qui dominait alors
dans notre littérature naissante, saisi surtout d'admiration pour
ces tons graves, nobles, éclatants du langage antique, pour
ces torrents de poésie qui débordaient de toutes parts, Ron-
 sard s'identifie avec la Grèce et avec Rome. Emporté par son
enthousiasme ardent, mais mal entendu, il reproduit dans sa
langue toutes les formes de la poésie ancienne. Il veut calquer
 servilement ses odes sur l'ode pindarique, et cette audacieuse
innovation fut à son époque un de ses plus beaux titres de
gloire. Malheureusement ses odes ainsi copiées ne produisi-
rent qu'un amas confus d'idées grotesques exprimées dans un lan-
gage inintelligible et barbare ; je n'en veux pour témoin que son
ode à L'Hospital, que personne aujourd'hui n'aplus le courage
délire. Mais toute réforme, toute rénovation poussée à l'ex-
cès, ne doit exciter d'abord que les rires et le dédain, et c'est
à la condition seulement de trancher dans le vif, que l'on est
vraiment réformateur. Tel fut le caractère des premiers essais
de Ronsard; cependant l'impulsion était donnée, les esprits
étaient désormais retrempés à une source pure et toute nou-
velle ; le temps devait apaiser ce qu'il y avait d'imprudent et
de téméraire dans l'entreprise, et ce moule, d'abord informe
de la poésie lyrique, se façonna bientôt, se perfectionna môme