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    Sans doute ce que je savais déjà du maître de cet enclos influait
 sur mes impressions ; néanmoins l'aspect de cotte habitation me
 frappa par un air de tristesse et de nudité. Il n'y régnait ni désor-
dre, ni délabrement, mais elle n'offrait à l'entour aucun de ces traits
auxquels on reconnaît l'agrément de la vie rustique, les goûts d'un
campagnard qui se plaît à ses fleurs, à ses arbustes, qui embellit
 son petit domaine et s'y crée un séjour à son gré. On n'y voyait ni
 parterre, ni basse-cour; point d'outils champêtres, point de potager
ni d'enclos, mais un gazon épais, et, jusque vers le seuil de la mai-
 son, des orties, des bardanes et quelques plantes sauvages végétaient
 sous l'ombre humide du vieil arbre. Quand j'entrai, une belette tra-
versait la cour.
    La bonne vieille, entendant quelque chose, parut à une fenêtre du
premier étage. « Je monte, lui dis-je, ne descendez pas, voici votre
ami.» Elle vint à ma rencontre, et je la suivis dans une chambre haute,
où elle était occupée à mettre en ordre des hardes et des papiers.
Ellequitta tout pourlechien : heureuse de le revoir en sa possession,
elle m'adressai (des remercîments les larmes aux yeux, tout en pro-
diguant des caresses à l'animal, qui, inquiet et préoccupé, n'y ré-
pondait que par un faible mouvement de queue, et retournait à
chaque instant vers la porte, que nous avions eu soin de fermer.
Elle lui présenta une tasse de lait qu'il lappa avec avidité.
    Etes-vous seule ici? dis-je à cette femme. — A présent, oui, me
répondit-elle; seule avec ce chien. J'avais un maître, Dieu l'a re-
tiré. — Mais votre maître n'avait-il pas des parents, des amis ? —
Des parents, plus ; et des amis, rien que moi, sous votre respect.
Anciennement il avait sa belle mère ; celle-ci morte, il me prit à son
service et nous vînmes ici. Il y vivait retiré, no voyant personne ; à
défaut de famille, c'est mon frère et les voisins qui ont accompagné
le cercueil. — Ce que vous me dites, bonne femme, excite vivement
mon intérêt, et puisque le hasard m'a appelé à vous rendre un petit
service, faites-moi, en retour, le plaisir de me raconter ce que vous
savez de ce maître que vous pleurez.
   C'est pour moi que je le pleure, dit-elle, mon bon Monsieur, pour
lui, la mort l'a délivré : il n'aimait plus la vie. Quant à son histoire,
je vous dirai ce que j'en sais : peu de chose. Il ne causait jamais de