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il ignore jusqu'aux noms de la plupart de ses devanciers, ou
s'il les connaît, c'est pour les renier et les maudire avec la
foule. Il ne sait pas quels flots d'un sang généreux ont coulé
à travers le moyen-âge tout entier, pour préparer la révolu-
tion qu'il vient d'accomplir. Il est bien loin de se douter de
ce qu'il doit aux bûchers de Giordano Bruno et de Vanini.
Mais si Descartes ignore le lien qui le rattache au passé, ce
lien n'en est pas moins réel. Il est l'héritier direct, peu im-
porte qu'il le sache ou qu'il l'ignore, de tous ceux qui, avant
lui, dans un ordre d'idées quelconque, avaient protesté au
nom de la raison contre l'autorité. Non seulement il conli-
nue leur œuvre, mais il l'achève ; car, depuis Descartes, l'in-
dépendance de la raison humaine, dans l'ordre philosophique,
n'a plus été sérieusement contestée.
    Quiconque examine les principales circonstances de la vie
de Descartes, découvre bientôt qu'elles ont toutes été déter-
minées par un double mobile qui imprime à cette vie si agi-
tée et si diverse en apparence, une admirable unité. Ce dou-
ble mobile est, d'une part, un desir ardent de découvrir la
vérité en toutes choses par les propres forces de son esprit';
de l'autre, un desir non moins ardent de la propager et de la
répandre. Une méditation continuelle sur les problèmes les
plus élevés que présente la science de Dieu, de l'homme et de
la nature, une infatigable persévérance à poursuivre la solu-
tion de toutes les questions qui agitaient l'esprit de ses con-
temporains ou que lui-même s'était posées, voilà ce qui rem-
plit la vie tout entière de Descartes. Rien ne s'est offert à cet
esprit puissant dont il n'ait essayé de se rendre compte, et
jamais il n'a laissé derrière lui une seule difficulté dont il n'ait
triomphé, ou du moins dont il n'ait cru avoir triomphé. Ni
le séjour de Paris, ni la vie des camps ne peuvent le distraire.
Jeune et gentilhomme, il s'arrache à tous les plaisirs, à toutes
les sociétés pour travailler les mathématiques, et au sein de