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501 renouvellement eut lieu en 1820 ; on fit l'acquisition d'un orme co- lossal, et dans lesflancsde l'arbre, un sculpteur en bois tailla gros- sièrement la représentation fictive de Cleberg, casque en tête, lance au poing ; car le type militaire semble être pour le peuple celui qui résume le mieux les idées de bravoure et de grandeur qu'il affec- tionne. Le généreux étranger tient en main une bourse, attribut éloquent, complément indispensable et désormais imposé aux sta- tuaires plus habiles qui succéderont. Devant cette grottesque figure, bariolée de dorures et de couleurs, quiconque avait du cœur s'adjoi- gnait en esprit à l'humble hommage de la pauvreté reconnaissante. Le croira-t-on ! cette ébauche coûta la vie à son auteur. Les uns disent que le sculpteur, habitué à façonner de petits saints pour les églises villageoises des départements voisins, s'exalta singulièrement à l'aspect d'une œuvre pour laquelle il avait employé plus de bois qu'à tous ses ouvrages précédents ensemble. En la voyant promenée avec pompe au son d'une musique guerrière, escortée d'une popu • lation nombreuse, exposée aux regards de la ville entière; en se voyant lui-même félicité, caressé, admiré par les bonnes gens qui l'entouraient, la tête lui tourna comme à ceux que la gloire enivre. Trop faible pour franchir stoïquement le passage subit de la nuit au grand jour, de l'obscurité à la célébrité, il commença par devenir fou de joie et d'orgueil, puis l'infortuné mourut. Heureuse mort, cependant! quoi de plus beau que finir ainsi en pleine illusion, avant que les mécomptes soient venus, avant que le songe soit évanoui? La plupart des grands hommes n'ont pas joui d'un tel bonheur. Se- lon d'autres, au contraire, son travail terminé, il le trouva détesta- ble, indigne de la place glorieuse qu'il devait occuper. Le malheureux se crut perdu, déshonoré à jamais, entaché d'un ridicule éternel; le chagrin, ou plutôt le désespoir, s'empara de son ame, et bientôt on le vit succomber à ces émotions cruelles qui atteignent le siège de la vie plus sûrement que ne ferait le poison ou la pointe d'un poi- gnard. N'admirez-vous pas qu'une si modeste existence ait eu, sem- blable en ce point aux plus brillantes, ses détails nuageux, ses cir- constances incertaines? Le fait principal est seul incontesté. Quelle que soit l'arme qui l'a frappé, joie ou chagrin, humiliation ou or- gueil, le pauvre artiste n'en est pas moins mort de son œuvre.