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   Le monument de Bourgneuf était enfin restauré, et les vieillards
se réjouissaient de pouvoir le contempler dans son éclat primitif.
C'est un fait auquel on ne prête point assez d'attention, qu'une telle
ovation décernée par des Français à un étranger. Les démarcations
de peuple à peuple excitaient autrefois des haines bien autrement
violentes qu'aujourd'hui. Mais l'étranger était bon, bienfaisant; les
malheureux qu'il secourait se constituèrent les représentants du
pays, et lui votèrent des lettres de grande naturalisation. Les nations
ne sont, en effet, que les diverses branches d'une même famille. Au-
dessus des limites établies par les différences de mœurs et de lan-
gage, l'intelligence rallie une autre nation, forte, éclairée, puissante,
qui s'étend sans relâche, et finira, nous l'espérons, par absorber le
genre humain entier. La fraternité des peuples a commencé par la
vertu, elle s'achèvera par l'association des intérêts. Les plus belles
théories sont diversement appréciées ; mais les bienfaits parlent au
cœur sous toutes les latitudes. Cleberg fit du bien aux Lyonnais, les
Lyonnais l'adoptèrent.
    Et pourtant il existe des doutes sur le personnage qui fut origi-
nairement le sujet de la statue. Des versions contraires se sont con-
fondues en vieillissant ; puis leur mélange a fait naître une tradition
populaire qui domine obstinément, depuis plusieurs siècles, les in-
certitudes historiques. Les savants prétendent que, dans le principe,
 la statue fut élevée en l'honneur d'un gouverneur du château de
 Pierre-Scise ; et ils se fondent sur ce que les chroniques lyonnaises
 qui parlent de Cleberg ne disent rien du monument. Mais qu'impor-
 tait aux habitants de Bourgneuf le gardien en chef d'une prison d'é-
 tat? Quelle sympathie pouvait exister entre le fonctionnaire retiré
 comme un aigle derrière les murs bastionnés de son donjon, et les
 chétifs ouvriers enfouis à ses pieds dans leurs masures? Ces der-
 niers, ne pouvant renverser la statue du gouverneur, l'auraient-ils
 donc, d'un commun accord, dépouillée de son titre officiel pour la
 revêtir du nom qu'ils vénéraient? Eux et leurs enfants auraient-ils
 fait tant et si bien que la seule mémoire sauvée du naufrage fût celle
de l'échevin? Si cela était vrai, ne serait-ce pas une chose étonnante
qu'une telle substitution, opérée par l'immuable volonté de plusieurs
générations successives?