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     Ainsi chassé do tous les petits coins de terre dont il croyait avoir
  gardé le secret, le poëte se rappelle alors que tout là-haut, au
  sommet de ce roc isolé que l'industrie n'a jamais pu franchir, loin
  du bruit, du mouvement, du commerce, si haut, que même la vapeur,
  la nouvelle ame du monde, ne saurait atteindre à ces hauteurs, la
 croyance religieuse s'est gardée à grand'peine quelques pieds carrés
 sur le rocher, et que là s'élève une humble chapelle consacrée à la
  Vierge, et qu'au moins de cette chapelle, l'ame pourra s'isoler de
 ces bruits étranges et de cette poussière venue de toutes les extré-
 mités du monde marchand. Montons-y donc, se dit le poëte; et en
 effet, le voilà qui gravit lentement la montagne; il traverse une à
 une toutes les misères cachées dans ces rues étroites ; pas à pas il
 s'éloigne de ces métiers qui battent ( heureuse la ville de Lyon quand
 battent ces métiers ! car le silence de ces quatre morceaux de bois
 qui-font le velours des trônes, est mortel) et ainsi grimpant, le poëte
 arrive à la chapelle de Fourvières. Mais cette fois encore, ô déso-
 lation ! le commerce a envahi même la hauteur de Fourvières. La
 spéculation a construit à la porte de la sainte chapelle une horrible
 tour carrée do deux cents pieds de hauteur ; la tour écrase de sa
masse profane l'élégant petit clocher de Fourvières ; la tour projette
son ombre grossière sur l'ombre dentelée de la petite église ; on ne
voit plus l'église, on ne voit plus que la tour. Pèlerin, vous pensiez
entrer daDs la chapelle, vous n'êtes plus qu'un voyageur oisif, un
curieux, et vous entrez malgré vous dans la tour, vous payez votre
entrée comme à la porte d'un spectacle; puis, quand vous avez
grimpé une heure encore , vous vous trouvez sur une plate-forme
immense ; de là vous découvrez , dans un horizon sans limites, ces
plaines sans fin, ces hautes montagnes, ces fleuves reluisants sous
le soleil ; votre regard ébloui se perd au loin dans ces abîmes de
neige, dans cet océan de verdure, dans ces déserts de sable; vous
comptez les maisons, les jardins, les domaines, les cités, les royau-
mes. Es-tu content, poëte? Ce monde sans mouvement et sans
bruit, ce monde qui n'est que grand et beau, n'est-ce pas là le
royaume que tu cherchais, le royaume qui n'est pas de ce monde ?
Et enfin, tout d'un coup, n'en pouvant plus, vous fermez les yeux
et vous vous rappelez celte haute montagne dans l'Evangile, au