Revue du Lyonnais » série 1 - n°14 ( 1841 ) » pp.090

                                     90
encore contre un fait accompli, nous devons dire que ce spi-
rituel écrivain s'est depuis trop longtemps tenu à l'écart.
C'est en quelque sorte aux portes de la Suisse que notre com-
patriote a dicté ses œuvres, c'est au milieu du magnifique pays
de Gex, ou dans la gorge si pittoresque des montagnes de
Nanlua qu'il a réuni ses souvenirs et poétisé ses émotions.
Là, chaque fois que la difficile magistrature qu'il exerce, lui
permettait quelque loisir, l'écrivain se relirait dans la solitude
de son cœur.
   Sur la montagne, les bruits journaliers du monde parvien-
nent confus, indécis, et la voix de Dieu parle souvent seule.
C'est pour cela, sans doute, que la Gerbe littéraire est destinée
à contenir des méditations religieuses et le poème de Cent ans
au désert. Mais n'allez pas croire que ce recueil offre seule-
ment des pièces graves et sévères; à Nanlua, M. de Sugny
voit se presser autour de lui quelques hommes d'un esprit sa-
tyrique incontestable, et de joyeuses causeries aiguisent plus
d'une fois sa verve mordante et caustique. Alors le poète invo-
que Juvénal et flagelle les nombreux travers du siècle. Peut-
être même cetle littérature légère, incisive, est-elle le genre le
plus favorable au talent de notre auteur. Voyez, par exemple,
tout ce qu'il y a de gracieuse simplicité et de fine raillerie
dans ces fragments de l'Epitre à rrion chien que nous regrettons
de ne pouvoir citer tout entière.

          Assez d'autres, flattant la richesse et les titres,
          Aux puissances du jour adressent des épîtres;
          Je prétends avec toi converser dans ces vers,
          0 mon chien !

          Tu ne dois pas, Neigeau, te faire aimer, mais craindre,
          Il faut que, dépouillant ta native bonté,
          Tu sois de mon manoir le gardien redouté,
          Observe bien nos mœurs, regarde qui nous sommes,...,
          Deviens méchant enfin, te voilà chez les honjmes !


          Mais, ne connaissant pas ton seigneur actuel,
          Peut-être le crois-tu tyrannique, cruel,
          Foulant aux pieds les droits de la race canine,
          Rassure-toi! chez lui l'indulgence domine;
          Il sait que tout le monde est sujet aux défauts,
          Et que bêtes et gens sur ce point sont égaux.