Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                        HORACE SAY (!)..



     J ' a i perdu m o n frère, mon ami, le compagnon de m o n
enfance, et cependant si ces titres bien chers étaient le
seul motif de mes regrets, je n'y associerais point le public :
j e dévorerais mes lai'mes en silence. T a n d i s que tant de
fléaux cruels pèsent sur des contrées entières, quelle pitié
les malheurs particuliers peuvent-ils exciter ? Le fracas
des événements p o l i t i q u e s , l'éclat des triomphes militai-
res c o u v r e n t les gémissements de la d o u l e u r .
     Mais faut-il que les talents et la vertu t o m b e n t i n a p -
perçus dans la foule ? et la patrie n ' a - t - e l l e plus une
l a r m e à d o n n e r à qui sut l ' h o n o r e r et la servir ? J e n e puis
le croire. J e dois donc parler de m o n frère, et faire c o n -
n a î t r e ce que la chose publique p e r d en lui ; je le dois à
sa mémoire digne de ne point mourir avec lui ; je le dois
à la patrie qui sentira ce que méritent d'égards les talents
qui survivent, en comptant la foule de ceux que son service
 ou ses erreurs ont consommés.
      M o n frère dut à son mérite personnel le rang qu'il o b -
t i n t dans la société et l'estime qu'il inspira à tous ceux d o n t
il se vit e n t o u r é . J e veux dire qu'il ne fut jamais servi p a r
les c i r c o n s t a n c e s , par les recommandations , p a r la for-
t u n e . A l'époque où tout h o m m e v r a i m e n t français sentit
v i b r e r jusqu'au fond de son cœur le n o m d e patrie, il crut
 déjà lui devoir ses facultés et son existence : quoiqu'il fût
p a r son âge compris dans la réquisition militaire, la loi
l'en exemptait : son zèle l'y replaça. « Il faut, disait-il à son
p è r e , il faut, dans les circonstances où nous sommes, que
chaque famille paie son tribut. J'acquitte le n ô t r e , v

   (1) Cette lettre de J.-B. Say sur ia mort de son frère, esl extraite de la
Dc'catte philosophique, du 20 frimaire an VIII. Horace Say, né à Lyon,
d'une famille considérée dans le commerce, est mort en Syrie, chef d'élat-
major du génie.