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    M. Ed. Servan de Sugny appartient à notre ville, et dès le
principe, nous reconnaissons en lui le caractère d'un esprit
lyonnais que n'ont point altéré les habitudes du commerce.
Simplicité, goût de la forme correcte, bonté du cœur, douce
ironie, tranquille gaîté, sentiment de justice et contemplation
religieuse, peu d'enthousiasme et beaucoup de sagesse, de
esprit, de la logique et de la sensibilité, tels sont les traits
saillants du talent de notre compatriote.
    Avant que le poète puisse pousser des cris inattendus,
sublimes, il faut qu'il ait passé par les épreuves de la douleur'
ou que sa vie ait été sillonnée par de grands événements.
M. de Sugny n'a rien connu d'extrême; jusqu'ici son existence
s'est écoulée à l'abri de toute vicissitude. Trop jeune pour avoir
subi la tourmente révolutionnaire ou même pour se rappeler
les glorieuses émotions de l'Empire, il n'a pleinement vécu
que durant nos vingt-cinq dernières années de calme plat, et
toujours, je le répète, sa position personnelle est restée tran-
quille.
    S'inspirant des leçons et de l'amitié de M. de Larochefoucaud
de Liancourt, comme il nous l'apprend lui-même, l'auteur de
la Gerbe liUéraire s'attacha dès lors à l'école railleuse mais
innocente et peu sérieuse du libéralisme de la Restauration,
et la littérature de cette époque, si égale, si timide en général,
lui sembla la seule possible. Par là s'expliquent la leinle et
le genre des œuvres de M. de Sugny.
    Lorsque le romantisme afficha la fausse prétention de fon-
der une école nouvelle, notre compatriole fut l'un des premiers
à décocher contre lui railleries pour railleries. Le romantisme,
en effet, renversait de prime abord les idées reçues, secouait
toute règle, s'affranchissait de toute bienséance, et, dans sa
vaniteuse étourderie, il insultait à la fois au fond et à la forme
de la saine littérature. M. de Sugny avait un goût trop sûr
pour ne point saisir le côté faible de l'attaque, et ce fut à force
 d'esprit qu'il pensa terrasser l'ennemi sous le ridicule. Mais une
réforme nécessaire ne pouvait être compromise par la mala-
dresse de quelques-uns des réformateurs. Ce que l'on nom-
mait improprement le romantisme, n'était rien moins que la
 prise de possession du noble héritage des Corneille et des
 Bossuet : Chateaubriand et Lamartine s'efforcèrent les pre-
 miers, en ce temps, de vulgariser la hardiesse de langage de
 ces grands écrivains; et si la témérité de jeunes disciples
 poussa trop loin la réaction contre le méticuleux classicisme,
 il n'est pas moins vrai que, sans se confondre avec la licence
 du mauvais goût, la liberté littéraire s'est établie, jusqu'au sein
 de l'Académie.
    Aussi, pour expliquer la lutte que M. de Sugny soutient