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LES RICHESSES DE M. ALEXIS. 147 un ami commun, M. Lays, le peintre de fleurs, élève et rival de Saint-Jean, et par M. Auguste Brun, le libraire archéologue si estimé, je me rendis avec eux chez M. Alexis qui nous attendait; on m'avait prévenu et cependant je fus ébloui. Dans une alcôve nue et sur un lit qui ressemblait à un grabat, un vieillard était assis. Sa belle tête, sa grande barbe blanche, une indéfinissable expression d'intelligence, de résignation et de bonté en faisaient un modèle digne du pinceau de Rembrant. Il me tendit la main, me remercia de ma visite , et, comme tous les vieillards qui aiment à causer, il me parla de son père, brave officier mort trop jeune, de sa mère chargée du lourd fardeau du veuvage et de la maternité, de la reconnaissance et de la tendresse qu'il lui avait vouées, de ses premières années d'apprentissage chez vin fabricant de cartes, homme exigeant et dur, dont il ne se souvenait qu'avec terreur, de ses études au palais Saint-Pierre, sous Cogell, de la médaille d'or qui l'exempta du service militaire, de la maison Giraud, port tranquille où il avait enfin trouvé la sécurité et le bonheur ; puis, voyant mon regard errer autour de moi et devinant mon désir, il me pria de vouloir bien visiter son appartement. Aussitôt, M. Lays, le familier de ces lieux, m'entraîna. Trois pièces furent visitées, et à mesure que nous allions, que nous décrochions des toiles, que nous époussetions des verres , que nous ouvrions des placards, mon cerveau se tendait, ma mé- moire se surchargeait de noms et de choses, une espèce de sarabande ou de danse macabre s'agitait dans mon imagination ; je voyais tourbillonner des peintres, des dessinateurs, des sta- tuaires, des graveurs. Sous la parole ardente et admiratrice de mon guide, je prenais tout simplement la fièvre des beaux-arts; j'étais enivré. Un trop long repas alourdit et fatigue, mais qu'est-ce qu'un excès de table à côté d'une débauche artistique, quand on prend de l'enthousiasme à trop haute dose et de l'ad- miration en trop forte quantité ? Contre tous les meubles étaient appuyés d'énormes cartables gonflés d'aquarelles, de dessins, de gouaches, de gravures signés de maîtres fameux ; à tous les murs étaient appendus des por-