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                         CHRONIQUE THÉÂTRALE.                               485
 lance et d'un air important les eourires de celle-ci et de celle là, et parce
 qu'il se souvient, il s'imagine qu'il juge.
    Evidemment, le premier j o u r , à la représentation d'un Changement de
main, le public a été déconcerté; cette façon sévère, étudiée, un peu lente,
de jouer le vaudeville, de traiter la prose de M. Scribe presque sur le pied
des alexandrins classiques, celte incomparable variété de diclion, cet art sa-
 vant des inflexions de la voix, cette puissance à la moduler pour ainsi dire,
comme une fluide argile ; cet organe si n e t , si incisif, si travaillé , si com-
plet , qui va du contralto de Rachel au fausset de Déjazet; toutes ces riches
qualités qui altestent un profond sentiment de l'art uni à de persévérantes
éludes, le public ne savait qu'en dire; devait-il blâmer ? devait-il louer ? Mais,
à la seconde représentation, les scrupules, les hésitations cessaient; chacun
comprenait qu'il avait devant lui le plus intéressant sujet d'étude qu'il pût
rencontrer. C'est, en effet , le propre des talents vrais, de plaire davantage
à mesure qu'on les pénètre mieux, et c'est une épreuve à laquelle ne résistait
pas, nous osons le dire, MlleMelcy , malgré les séductions de son jeu et de sa
personne. On était vite, avec elle, au bout du rouleau. C'est tout le contraire
avec Mme Rose-Chéri , plus on la voit, plus elle charme, plus la finesse des
détails vous frappe, plus les délicates nuances de son art si divers et si élevé
se dessinent et commandent l'admiration.
    Celui qui n'a pas assisté au 3 e acte de Clarisse Hartowe, ne sait pas à quel
effet elle peut atteindre. C'est dans cet acte qu'elle donne sa vraie mesure.
Avez-vous admiré la gradation expressive qu'elle met dans ces trois cris: Je te
hais , je le méprise , je te maudis, qu'elle jette à la face de Lovelace ? et la
science des poses , des ajustements , la poésie et la chasteté des attitudes ! cl
lorsqu'enveloppée de voiles, le visage immobile et crispé sous la main de
l'agonie, elle exhale son dernier soupir , quelle puissance de réalisme •
sans que jamais pourtant ce réalisme devienne blessant à force de crudité ;
car l'art est là qui doit tout relever, et l'actrice, au plus vif de la scène,
n'est pas femme à l'oublier.
   C'est, en effet, un des avantages de Mmo Rose-Chéri, d'être toujours
complètement maîtresse de son talent ; elle est, à toute minute, en pleine
possession d'elle-même. Avec elle, jamais d'effets hasardés, manques. De là
une réserve distinguée, une maestria contenue, une certaine fermeté dans
le jeu, une manière hautaine de se promener à travers la scène. Ajoutons
de l'esprit, de la correction dans la grâce, un grand air de distinction et
vous comprendrez comment il s'est fait que M me Rose-Chéri soit restée à
Paris, tandisque Mlle Melcy en sortait, pour notre bonheur; car, pendant un
un, elle nous a tenu sous le charme, ne l'oublions pas.        .1. T.
                                       MON BOITEI,, diieeleur-gérant.