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390 M. viVtEK. parmi nous n'a fait tjne grandir. Le feuilleton suivant nous le prouve: LÉON BOITEL. Un de mes confrères de la presse musicale a raconlé fort spirituellement , comme à son ordinaire , un voyage que Vivier a fait à Amiens , et dont fai- saient partie les deux sœurs C'ruvelli , M. Gueymard , une charmante dame amateur et le critique qui s'est fait l'historiographe de celle solennité mu- sicale. Si l'admirable verve de Sophie Cruvelli, ni le talent de sa sœur, ni la belle voix de Gueymard ^ni les magnifiques cheveux blonds de l'élégante Pari- sienne n'ont pu l'emporter sur les effets magiques que Vivier sait tirer de sou cor enchanté. Ce n'est pas'une mince lionne fortune de le pouvoir entendre, et les Amic- nois sont bien favorisés. Vivier les a traités comme des Russes, des Anglais ou des léles couronnées, car il n'y a ordinairement que ces trois genres d'audi- teurs a qui il accorde la faveur d'un morceau ou deux. Dernièrement, il s'est montré aussi généreux envers les habitants d'Orléans qu'envers ceux d'A- miens, et les oitoyens de ces deux villes françaises peuvent se vanter d'être les privilégiés entre lotis cenxfdubeau royaume, allais-je dire, je me reprends), de la belle république de France. Vivier en veut aux Parisiens , et il n'a peut-être pas tort. Une seule fois il a joué dans un concert public , avec Thalberg , au Théâtre-Italien ; c'était à l'époque de la grande vogue de ce théâtre. La salle était envahie parce pu- blic qui se croyait connaisseur et qui n'était qu'abonné. Le merveilleux talent de Vivier fut applaudi, mais il ne fut ni compris, ni apprécié à sa valeur. Vi- vier s'est vengé de celte froideur en ne se consacrant plus qu'à l'étranger. La Russie, l'Allemagne, la Hollande , l'Angleterre ont été témoins do ses triom- phes , et s'il revient lous les ans pour quelques mois à Paris , ce n'est que pour se délasser et faire et raconter à ses amis quelques-unes de ces bonnes charges qu'il réussit si bien. Il y a un étrange contracte entre la nature élevée, sévère et sérieuse du ta- lent et le caractère de galle et presque de bienfaisance du célèbre artiste. Mais ce qui distingue Vivier des plaisants de société et des loustics d'atelier , c'est que ses plaisanteries, ses mystifications n'ont pas pour but d'amuser les autres , mais de l'amuser lui-même. Enfermez-le dans une chambre tout seul, et il trouvera moyen de se jouer quelque bon tour et de se moquer de lui- même. Maintenant, si nous séparons l'homme de l'artiste , et ce n'est que de ce dernier que nous devons nous occuper , nous trouvons encore deux natu- res distinctes entre l'exécutant et le compositeur. Comme exécutant, Vivier ife peut être comparé qu'à lui-même. Il possède une plénitude et une puissance de son incomparables ; il joue habituellement dans le ton de su et dans le registre du second cor. Sou style est d'une largeur magistrale. Il n'exécute que sa musique, et elle est toute inédile, par l'excel- lente raison qu'elle ne peut être exécutée que par lui, puisqu'il garde le se- cret des effets qu'il a inventés et découverts. C'est dans l'exécution de mélo- dies graves et sévères , quoique presque toujours gracieuses, qu'il trouve ses éléments de succès ; mais il sait donner un tel accent à soi) instrument, qu'il produit quelquefois le plus grand effet avec une simple note filée, remplis- saut avec une perfection inouïe toutes les insensibles transitions du pianis- simo, du rinforzando et du decrescendo. En un mot, Vivier est le plus admi- rable chanteur du monde , dont la voix est remplacée par le timbre du cor. Quanta ses effets de doubles , triples et quadruples notes, c'est un mys-