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378 MOLIÈRE, ÉLÈVE DE GASSENDI. un corps. Des âmes cartésiennes qui sortent de leur corps, pour errer dans l'espace, et qui y rentrent quand il leur plaît, voilà la donnée commune des romans anti-cartésiens du P. Daniel et de Huet, du Voyage du monde de Descartes, et des nou- veaux Mémoires pour senir à l'histoire du Cartésianisme. Mais il y a plus à s'étonner, sans doute, de la lutte de Huet et des Jésuites que de celle de Molière contre le spiritualisme de Descartes, qui, au fond, n'est que le spiritualisme même, sur lequel reposent les dogmes les plus essentiels de la théologie chrétienne. Cependant Clitandre n'est pas plus de l'avis d'Ar- mande que Chrysale de celui de Philaminte. Four moi, par un malheur, je m'aperçois, Madame, Que j ' a i , ne%oos déplaise, un corps tout comme une âme; Je sens qu'il y tienl trop pour le laisser à part: De ces détachements je ne connais point l'art, Le ciel m'a dénié celle philosophie, Et mon âme et mon corps marchent de compagnie. Si le bon sens parle souvent par la bouche de Clitandre. d'Henriette et même de Chrysale, on doit avouer que quelquefois il incline un peu trop du côté de l'empirisme. Bélise, Philaminte et Armande ne sont pas moins cartésiennes en physique qu'en métaphysique. Bélise trouve le vide à souffrir difficile et goûte bien mieux la matière subtile ; Armande aime les tourbillons, et Philaminte les mondes tombants. J'appliquerai la même remarque au Misanthrope qu'aux Fem- mes savantes. Je serai cependant moins sévère que Rousseau, et je ne dirai pas, comme lui, qu'après avoir joué tant d'autres ri- dicules, Molière a voulu jouer dans cette pièce celui que le monde pardonne le moins , le ridicule delà vertu. Ce n'est pas la vertu, mais les travers d'un homme vertueux que Molière a joués dans le Misanthrope. 11 ne nous fait rire que de ce qui est digne de risée. Cependant s'il ne tourne pas la vertu en ridicule, il lui oppose souvent, en lui donnant l'avantage, une certaine sagesse où nous reconnaissons, à plus d'un trait, l'esprit de la morale de Gassendi, c'est-à -dire de la morale de la prudence et de l'in-