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54                          ESSAI HISTORIQUE
tout gigantesque qu'il est, quand on pense qu'il a failli être ac-
compli, que l'Europe, pendant deux siècles, y a employé plus de
moyens qu'il n'en aurait fallu, s'il y eût eu des chefs plus géné-
raux que soldats, plus de concert dans les expéditions, plus de
discipline dans les armées, moins de trahison de la part des
Grecs, on admire avec quelle justesse de vues le génie de Grégoire
VII formait les plans les plus extraordinaires ; tant de gloire ne
nous était pas réservée.
   Mais si le but du grand pontife ne fut pas entièrement atteint
par les expéditions saintes, il le fut en partie, et la puissance
pontificale y puisa un rapide moyen de développement. « Rien,
dit Heeren, n'était plus propre à subordonner la puissance civile
à celle de l'Eglise, que des entreprises du genre des Croisades, des
guerres saintes où l'on combattait pour l'honneur de la foi, qui
donnait aux ministres de l'Eglise une supériorité naturelle. C'é-
tait à la voix du souverain pontife qu'on les entreprenait, c'était
lui qui semblait les commander, qui semblait faire mouvoir tous
les princes et toutes les nations. Ne semblait-il pas alors être, en
effet, le roi des rois et le dominateur de tout le monde chrétien?
Du fond de leur palais à Rome, les pontifes, gouvernaient par
leurs légats l'armée croisée. A eux était confié, d'un assenti-
ment général, la conduite des plus hauts intérêts et de la plus
grande opération politique du temps, la direction suprême des
forces d'une partie de la terre qui s'armait tout entière pour en
combattre une autre. L'enthousiasme religieux et chevaleresque
qui exaltait les esprits, se tournait naturellement, dans une telle
conjoncture, vers le chef de la religion, au nom du laquelle allaient
se porter ces grands coups. C'est ainsi que les papes devinrent,
par l'effet de la nature même des Croisades et sans qu'il fût be-
soin de faire jouer de nouveaux ressorts, le centre d'autorité dans
le monde chrétien ( 1 ). »
  Urbain II ne vécut point assez pour voir lui-même, dans la
querelle des investitures, le résultat de cette nouvelle influence,

   (1) Heeren, Influence politique des Croisades, tfad. de Charles Villers, in-&,
p. 141 el suiv.