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I78 LA PLEIADE FRANÇAISE François Billon, qui parut en 1555, mais qui fut écrit à Rome en 1550, et dont l'objet n'est autre que de venger la « réputation du sexe peu prisé, » les dames de Lyon occupent, à elles seules, autant ou plus de place que celles de tous les autres endroits du royaume, et, je crois, que celles même de la cour de France. C'est justice; et aucunes, assurément, n'ont fait plus dans cette première moitié du xvi e siècle pour l'honneur ou la dignité de leur sexe. Elles ont fait mieux; et ce qu'avait été Laure de Noves pour Pétrarque, ou Béatrix Portinari pour Dante, elles le sont devenues pour le poète et pour l'artiste : la Délie de Scève, l'Olive de Du Bellay, la Pasithée de Pontus, la Cassandre ou l'Hélène de Ronsard. L'idéale beauté dont on rêve, et qui nous fuit, elles en ont, à leurs yeux, précisé le contour et comme incarné l'image en leur personne. De l'exaltation du désir d'amour ou de son épuration, elles ont fait la source même de l'inspiration poétique. Elles ont réussi, — comme on l'a dit énergiqueir.ent et admirablement, — « à faire dériver les hauts instincts moraux non de la raison, mais du cœur même et des entrailles. » C'est ce qu'elles ont ajouté du fond même de leur race ou de leur tempéra- ment local à ce qu'il y a souvent de trop extérieur dans le pétrarquisme lui-même. Grâce à elles et par elles, dans la société comme dans la littérature française, la femme a pris un rang qu'à moins d'être souveraine, elle n'avait tenu ni dans la littérature, ni dans la société de l'Italie de la Renais- sance. Nous en verrons les conséquences; et si, comme on le prévoit sans doute, elles s'étendront beaucoup plus loin que l'œuvre de la Pléiade, c'est là pourtant que nous allons commencer de les apercevoir. Ferdinand BRUNETIÈRE, De VAcadémie Française.