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I32                UN FUSIL QUI    A PEUR

nous avancions dans Belfort, nous remarquions que les obus
arrivaient plus nombreux ; à chaque tournant de rue, nous
voyions quelques cheminées ou pans de murs qui s'écrou-
laient ; des briques, des tuiles, des chevrons tombaient
autour de nous, couvraient le sol des rues que nous sui-
vions. Autant que possible nous rasions les maisons et pas-
sions sous les abris faits de poutres, de troncs d'arbres ou
de traverses de chemin de fer.
    — Ça rapplique! disait Vignard à chaque instant, en se
servant de cette locution familière chez les mobiles du
Rhône.
    — Un vrai dégel! murmurait Villedieu, pour toute
réponse.
    Enfin, nous atteignîmes la porte de Brisach.
    Pendant que le sous-officier de planton, auquel j'avais
expliqué l'objet de ma venue, allait prendre les ordres de
l'officier de garde, nous attendions, mes deux hommes,
notre prisonnier et moi, dans la petite cour qui précédait
l'entrée de la caserne.
   A un certain moment, comme je me retournais pourvoir
quelle figure faisait le déserteur, Villedieu me poussa du
coude en murmurant : — Le colonel. — En effet, dans
l'encadrement de la porte, le commandant supérieur de la
place, Denfert, s'était avancé et nous regardait.
   Au même instant, un obus éclata avec un bruit formi-
dable sur nos têtes, contre la paroi intérieure de la cour ;
les débris du mur, les pierres, les éclats de fonte sifflèrent,
miaulèrent, volèrent autour de nous; un nuage de pous-
sière et de fumée nous enveloppa. Mes hommes s'étaient
reculés instinctivement contre le pied de la caserne ; je ne
bougeais pas, quoique ayant senti le bas de mes jambes écla-
boussé par des gravois soulevés par un gros éclat d'obus