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                         L'I'ÃŽCOLF. LYONNAISE                         171

  — Oh, si fais dcà, respondy-je, et ay bien mémoire qu'entre autres
choses, quand je le vy autant nouveau et incapable d'entendre la raison
que les doctes vers du seigneur Maurice Scève, — lequel vous sçavez,
Pasithée, que je nomme toujours avec honneur, — je luy          respondis
qu'aussi se soucioit bien peu le seigneur Maurice que sa Délie fut veue
ni maniée des veaux (1).

   Un autre passage n'est pas moins curieux :
   — Je ne veux louer entre nous nos poètes, répondy-je, parmy les-
quels je souhaite que l'envie ne s'acharne au mespris l'un de l'autre, et
leur désire au reste tant heureuse continuation que les estrangers ayent
par cy après à nous rendre ce que par l'ignorance de quelques siècles
passés nous avons été contraints leur prêter de louange et d'admiration.
Bien voudroy-je que quelqu'un plus hardy et plus que moy suffisant,
entreprint et vint à chef d'un art poétique approprié aux façons fran-
çoises... Je requerrais qu'à l'image des anciens, nos chants eussent
quelques manières ordonnées de longueur de vers, de suite en entre -
mellement de rimes et de modes de chanter, selon le mérite de la
matière entreprise par le poète, qui observant en ses vers les propor-
tions doubles, triples, d'autant et demi, d'autant et tiers, aussi bien
qu'elles sont rencontrées aux consonances, serait digne poète musicien,
et témoigneroit que l'harmonie et les rimes sont presque d'une mesme
essence, et que sans le mariage de ces deux, le poète et le musicien
demeurent moins jouissans de la grâce qu'ils cherchent aquérir.

   Assurément, ni du Bellay, ni Ronsard, ni Baïf n'expri-
meront leur idéal poétique avec plus de précision, ni sur-
tout ne le dériveront d'une source plus haute; et on peut
dire en ce sens que, si Daurat a été l'érudit de la Pléiade,
Pontus de Tyard, en a été, lui, le philosophe. Oserai-je ici
me servir du terme propre, et théologique ? Il a vraiment
conçu la poésie comme une ascèse, c'est-à-dire comme un
exercice, — du grec i««iv, — ou un combat de l'âme,
s'efforçant de se dégager de la matière, et de reconquérir,

  (1) L'orthographe et la ponctuation sont celles de l'édition de 1587.
Discours philosophiques de Pontus de Tyard, Paris, chez Abel l'Angelier.