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                       CHRONIQUE LOCALE.
    J'avais écrit la présente chronique sur l'air célèbre . Ah qu'il fait froid !
et j'avais essayé de peindre en couleurs vives les rigueurs d'un hiver excep-
tionnel : Janvier continuant son règne jusqu'en avril, la bise soufflant, la
neige tombant, la glace dans les rues, les nez rouges dans les manteaux,
les rhumes en honneur, la campagne poudrée à frimats, les trains arrêtes,
toutes les communications coupées, et les loups affamés rôdant autour des
habitations, seuls êtres vivants qui osassent encore sortir de leurs demeu-
res. — Je n'avais pas fini que, par un changement à vue, digne des théâ-
tres les mieux machinés, l'été à remplacé l'hiver, la poussière a envahi les
gosiers et blanchi les cheveux, les mouchoirs se sont mis à éponger les
fronts et les pantalons de coutil ont immédiatement remplacé les gros
draps doublés de molleton.
   Le printemps était escamoté et au bout de deux jours le public impa-
tienté s'étonnait qu'il n'y eût pas encore des pêches.
   A la vue des feuilles vertes, les oisifs se sont envolés à la campagne, les
concerts ont reçu le coup de mort, les marchands de coco ont poussé un
cri de joie et j'ai refait ma chronique.
   J'allais broder quelques motifs sur un autre air non moins fameux : Ah
qu'il fait chaud ! Mais voilà que la pluie tombe à torrents, les caoutchoucs
reparaissent, les fleuves débordent et les rhumes reflorissent de nouveau.
Preuve certaine que le sceptre de Matthieu (de la Drôme) est tombé en
quenouille et que les successeurs du grand régulateur des saisons n'ont pas
la main assez forte pour faire convenablement la pluie et le beau temps.
   Il va sans dire que ces variations nous ont valu les indispositions les plus
diverses et que le nombre des personnes alitées l'emporte de beaucoup sur
celui des gens debout. Nous ne serions point étonnés d'apprendre que les
pharmaciens sont tous devenus millionnaires et les médecins aussi.
    La maladie n'a du reste point tué le plaisir, elle l'a modifié, voilà tout.
On ne chante plus, on fait aulre chose ; on se promène au parc, on démo-
lit les remparts de la Croix-Rousse, on va voir la création du monde, on
fête Alexandre Dumas, on préparc des carrousels ; la charilé s'en mêle et
tout le monde est content. La philanthropie tient une séance à la Rotonde et
invite les Compagnons des différents Devoirs à s'embrasser. L'intelligence
a aussi sa part ; on lit le dernier et beau volume do M. Victor de Laprade,
les Voix du silence, et on se retrempe dans une suave poésie du prosaïsme
des affaires ; on va répétant le long du trottoir, à défaut de verte prairie :
                     Voici l'hiver, vendange est faite ;
                     Le givre a blanchi nos buissons ;
                     Du chêne il effeuille la tête j .
                     Plus de nids et plus dé chansons !
                     Voici l'hiver, vendange est faite.