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LES DONS D'AUTEURS, 253 volumes qui n'ont absolument rien coûté? — Ils seront négligés, — si on ne les destine pas aux plus profanes usages ! — Que de pipes allumées, que de cornets confec- tionnés, que de cigares dont les pores ont été bouchés aux dépens des dons d'auteur ! Et ici je m'arrête, car il est des causes dont un avocat scrupuleux ne doit point pousser la défense in extremis, alors qu'il nu peut la faire valoir sans offenser la délicatesse de ses lecteurs. Mais, pour confirmer par des faits la valeur et la justesse de mes précédentes observations, il me prend fantaisie de glisser deux ou trois épisodes dont je fus le héros, héros bien humilié sans doute, car, en les racontant, je dois sa- crifier mon amour-propre d'auteur à mon envie de prouver l'abus que je signale. C'était en 1829 ; le public suisse venait de faire un accueil plein de bienveillance au poème dé la Miliciade, qui parut à cette époque; et, bien qu'assuré de l'écoulement de mon édition, suivant l'absurde coutume que je combats, j'avais offert un exemplaire de mon ouvrage à tous les excellents parents que, sans de graves inconvénients, l'on ne saurait oublier en pareille occurrence. Peu de jours après, je fus in- vité à dîner chez l'un d'eux. Qu'on juge de ma stupeur lorsque je vis la domestique placer, au sein de la table, un superbe gigot de mouton au manche duquel on avait mis, en guise de paletot-sac, et pour la plus grande commodité de l'écuyer tranchant appelé à le découper, quatre ou cinq pages de mon poème nouveau-né ! ! Mon oeil paternel en reconnut de suite le papier et le caractère; c'était le troi- sième chant, celui de la Revue, qui emprisonnait ainsi, dans ses alexandrins profanés, l'os principal du gigot offert aux convives ! Je devins pourpre de confusion ; mon regard fasciné ne pouvait quitter le corps de cet indigne outrage fait à ma muse, d'autant mieux que l'osseux pilori auquel elle était adhérente, semblait, pour ajouter à mon martyre, être dirigé contre moi! .... Mon parent n'eut pas de peine à découvrir la cause de