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                    POÉSIE, AMOUR ET MAMCE.                     473

le temps désirable pour apprécier mes œuvres. Mais, grand
Dieu ! que ce temps me parut long, eUcomrae notre vie serait
courte si l'on en retranchait ce que l'impatience de nos désirs
voudrait en ôter; dès les premiers jours de décembre 1812,
j'allai palpitant d'émotion tous les matins demander au libraire
si Y A Imanach des Dames avait paru ; le digne homme ne sa-
chant à quoi attribuer mon extrême envie de le voir arriver,
m'en demanda le motif; mais je me gardai bien de le lui dire,
craignant d"ètre couvert de honte à ses yeux si mes vers
 étaient bannis du glorieux recueil.
    Enfin, le 25 décembre, date mémorable, je faillis me trouver
 mal quand le libraire, venant à ma rencontre sur le seuil de
 son magasin, me présenta le volume en souriant ; tremblant,
 étourdi, je le saisis convulsivement, et, dans mon trouble, je
 m'en allais sans le payer, quand le marchand, qui n'avait pas
 les mêmes raisons que moi pour perdre son sang-froid et son
 argent, me demanda le prix du livre et me rappela à la
 bonne et vieille coutume de payer ce qu'on achète. Je le sa-
 tisfis , puis serrant sur mon sein palpitant l'almanach enve-
 loppé de son bel étui de maroquin, je volai dans ma chambre,
 où j'arrivai pâle, haletant, et, le déposant sur ma cheminée,
je le considérai longtemps sans avoir le courage de l'ouvrir et
 de m'assurer ainsi de ma honte ou de ma gloire.
   « Voilà donc, m'écriai-je, l'arbitre de mon sort futur, où se
trouve contenu l'arrêt qui m'exile du domaine des lettres, ou
bien une rayonnante publicité donnée à mes œuvres, qui doit
entourer mon front jeune encore d'une précoce auréole de gloire;
le monde va connaître mon nom, ou bien je devrai renoncer à
le faire sortir de l'ombre d'où j'aurai en vain cherché à le tirer. »
   Puis, prenant mon courage à' deux mains, ainsi que l'alma-
nach, je sortis ce dernier de sa luxueuse enveloppe, et j'en
détachai les pages collées l'une à l'autre par la dorure, avec
des palpitations de cœur qui m'étouffaient.
   Le ciel, j'en suis assuré, prit pitié de ma torture et fit tomber
lui-même devant mes yeux.ébahis la feuille mille fois bénie qui
renfermait un conte de ma façon.