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                       BABIL CALLIGRAPHIQUE.                      203

carrés de papier écrits et plies que l'on nomme lettres, par leur
aspect et leurs formules sacramentales ne nous instruisent point
des travers, des petitesses, des prétentions et du caractère même
de leurs auteurs? Il n'y a pas bien longtemps que les lettres pour
la plupart étaient pliées dans la même page où elles étaient écri-
tes ; l'enveloppe était chose rare, réservée aux chancelleries d'Etat,
aux riches seigneurs, en un mot aux gens du grand monde;
mais le progrès est encore venu marquer sa griffe sur cette cou-
tume patriarchale, et l'enveloppe est descendue à un prix si
modique que le moindre courtaud de boutique, aujourd'hui,
fait endosser à sa prose et recouvre ses barbarismes d'élégants
paletots confectionnés en papier et dérobant aux regards ces
formes -de lettres primitives, si pittoresques, si ingénues, qui
annonçaient de suite le genre d'écrivains dont elles émanaient;
à peine si de temps à autre on reçoit encore de ces missives
carrément campées et taillées en losanges, dont les plis supé-
rieurs mal joints étalent un pain à cacheter qu'ils ne recou-
vrent qu'à moitié, et sur lequel apparaissent quelques piqûres
d'épingles en guise de cachet ; à peine si l'écriture barbare
et la faute sacramenlale de Mosieu, naïvement affichées au p é -
rystile de quelques billets, nous révèlent l'espèce de correspon-
dant à laquelle nous avons à faire ; les lettres ont donc perdu
de leur candeur quant à leur aspect devenu tous les jours
plus uniforme : on ne peut savoir en les ouvrant si elles con-
tiennent une invitation de bal ou un compte de tailleur; et la
note d'une blanchisseuse vous arrive couverte du même domino
que les assurances de l'amitié.
   Je déplore, pour ma part, celte figure banale, ce costume
identique qui, à la vue, ôte toute individualité extérieure à nos
correspondants; il faut les déshabiller pour les connaître, tandis
qu'autrefois ils sortaient des mains du fadeur pour entrer dans
les nôtres avec une nudité naïve qui rappelait Vâge d'or et le
siècle de lîhée, et l'on peut dire en parodiant Molière :

         Je ne reconnais plus sous sa belle enveloppe
         Le billet du palais de celui d'une échoppe.