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CHRONIQUE THÉÂTRALE, Le Grand-Théà lrc a donné , dans le courant de novembre , la première nouveauté de la saison, la Circassienne, opéra-comique en trois actes, dû à la collaboration de JIM. Scribe et Auber. Des paroles, nous dirons peu de chose. C'est l'histoire d'un jcxine officier russe qui, rencontré sous un déguisement de femme, par un vieux général, espèce de brute , à dem:-sauvage, devient l'objet d'une passion burlesque. Celte intrigue se complique de l'amour de la nièce du général pour l'officier déguisé. M. Scribe a traité ce sujet tant soit peu scabreux et prêtant à des équivoques trop prolongées avec celte dextérité que'lui seul possède. La vraie muse de M. Scribe, ce n'est pas la fantasie, c'est l'invraisemblance. Armé de ia baguette magique que lui a livrée cette musc de seconde classe, il opère des m racles. Une situation parfaitement absurde devient accepta- ble ; il promène le spectateur daijs un domaine de fictions souvent pro- saïques, au milieu de situations imposables qui le surprennent, sans le heurter. Vous vous laissez faiie; et si vous n'êtes pas absolument charmé, vous êtes au moins distrait et amusé. La partition que M. Auber a écrite sur le canevas de M. Scribe vaut, à peu de chose près, ses œuvres antérieures, même les meilleures. Le promicr acte a notamment tontes les qualités brillantes de ce maître. C'est clair, fin, spirituel, gracieux, de la première note jusqu'à la dernière. L'ouverture est sans prétention et semble avoir eu pour unique but de meltrc en relief un motif de valse qui s'empare immédiatement de la mé- moire. Le chœur d'introduction, par sa douceur, par i\a reprises habile- ment ménagées, où domine la voix du ténor, est ravissant de grà ç_e. Le second choeur bravo ! se distingue par sa couleur et l'entraînement du rhythme. La romance Si vous m'aimez! sort tout à fait, par le caractère piquant dont elle est empreinte, des fadaises du même genre qu'on retrouve dans tout opéra-comique. Mais le morceau le plus original, le plus franche- ment écrit de tout cet acte, est peut-être le final , morceau bien agencé , bien coupé, plein d'entrain, de variété, et en même temps d'unité dans le développement. Rien qu'à l'entendre, toute la salle entre en gaîté. Nous signalerons, dans le second acte, le premier chœur des femmes du harem ; l'air du baryton , qui a été bien dit par M. Melchissedec ; celui des danses, emprunté à l'onvciturc, et le chœur des Odalisques en révolte. Le troisième acte, sans valoir les deux premiers, renferme d'agréables parties qui ne déparent point l'œuvre élégante et facile de M. Auber. L'exécution a été, de tous points, remarquable. 11 serait inutile d'in- sister sur le mérite de M. Achard, auquel tout le monde rend depuis longtemps justice. Mais le public qui s'est souvent montré froid pour jjme Bai |>ot, ne lui a pas tenu , cette fois , rigueur. Nous constatons avec plaisir que cette artiste reprend la faveur qui lui est due. Chaque jour ses qualités précieuses de chant et de justesse de voix sont mieux appré- ciées.C'est une artiste sûre d'elle-même, qui sait manier sa voix, respirer à propos, détailler une plirase musicale, la ponctuer et la produire dans ses contours. M. Barbot, M. Castelmary, M. Mclchis*edcch, M. Feret ont, chacun pour sa part, contribué au succès de la pièce, auquel ont aidé le luxe et les soins d'une mise en scène bien entendue. L'orchestre et les chœurs ont complété un bon ensemble. Somme toute, c'est pour la direction et les artistes une victoire, et pour le public, l'assurance d'une série de soirées agréables et intéressantes tout à la fois. J. T.