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POÉSIE, AMOUR ET MALICE. 4G9 Moi-même, Français alors, j'étais électrisé par la lecture des bulletins de la grande armée, dont mes patrons suivaient la marche victorieuse en plantant, sur la carte des pays théâtres de ses exploits, de petits drapeaux désignant la position des divers corps qui la composaient. Comme je voyais avec orgueil ces épingles triomphantes s'avancer en pays ennemi, puis enfin se dresser au sein des capitales envahies par nos troupes ! comme j'admirais ces corps d'armée qui traversaient Lyon pour voler sur les champs de bataille ! comme ces bril- lants uniformes si bien portés par de jeunes guerriers exal- taient mon esprit ! En vérité, il fut des moments ou j'aurais quitté la lyre pour saisir le glaive. Cependant un triste épisode vint affaiblir mon enthousiasme militaire et je ne puis encore, aujourd'hui m'en souvenir qu'avec tristesse. La division Roudet séjourna quelques mois à Lyon, en 1810; cette division de cavalerie était magnifique; hommes et chevaux, tout captivait et séduisait les regards : les officiers fraternisaient avec la population lyonnaise ; leur belle tenue, leurs figures mar- tiales, leur joyeuse humeur et cet intérêt qui s'attache sans cesse aux braves sur le point d'exposer leur vie, tout les rendit les enfants gâtés de Lyon. Que de joyeux banquets leur furent don- nés! que de fêtes dont ils devinrent les instigateurs et les orne- ments ! que de revues où leurs habiles manœuvres furent ap- plaudies avec transport. Le jour du Mardi-Gras, je vois encore cette belliqueuse jeunesse travestie en marquises, en comtesses, en vieilles duègnes, couvrant de mouches noires de fraîches fi- gures, montée sur de superbe coursiers, parcourir les quais et la cité: je les vois ces charmants militaires tous réunis sur la place Henri où j'habitais, se livrer aux aimables folies de leur inaltérable gaité. C'était à qui leur ferait accueil et leur témoi- gnerait sa sympathie ; ils ne pouvaient suffire à boire tous les verres de punch, de liqueurs et de limonades que chacun se fai- sait une joie de leur offrir et qu'ils avalaient, en dépit du déco- rum imposé au sexe dont ils avaient affublé les somptueux vê- tements. Hélas! cette gaîté si vive devait bientôt s'éteindre dans les flots de leur sang répandu à Wagram, où leur division presque