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470 POÉSIE, AMOUR ET MALICE. entière fut détruite et sacrifiée aux exigences d'une de ces ruses stratégiques trop communes dans les grandes guerres où des corps doivent rester exposés, l'arme au bras, aux coups d'un ennemi dont il faut distraire l'attention et* occuper les forces pour le succès de manœuvres dont ils sont les victimes. Mais j'oublie que je n'ai point pris ia plume pour raconter les gloires de l'Empire, mais avec l'intention plus modeste de retracer trois épisodes de mon séjour à Lyon, dont les souvenirs planent dans ma mémoire sur tant d'autres qui s'y sont effacés, ainsi que ces rochers de la grève qui semblent grandir avec l'abaissement de la marée. Je placerai ces trois anecdotes sous trois titres en harmonie avec elles, soit sous ceux de Poésie, Amour et Malice. PREMIÈRE PARTIE POÉSIE. Bien que mes chefs m'eussent interdit de m'occuper, dans nos bureaux, d'autres choses que celles qui concernaient le com- merce, je n'observais pas si souvent leur consigne à cet égard, que bien souvent je ne parvinsse à composer à la dérobée quel- ques tirades de vers sur divers sujets. Odes, épîtres, satirej, cliansons, épigrammes surtout naissaient successivement sous ma plume, surprises de voir le jour au sein des chiffres des tissus, et parmi les personnes les plus antipathiques à la poésie; j'avais mille ruses pour les enfanter à la dérobée ; je feignais surtout d'écrire à mes parents ; je traçais mes versa la suite les uns des autres et comme s'ils eussent été de la prose, en sorte que mes patrons ne concevaient aucun soupçon en voyant ces lignes pleines eteonscieucieuses, couvrant hermétiquement mon papier, et même, ils paraissaient touchés de ma tendre assiduité à cor- respondre avec ma famille. Les dimanches et les nuits je reco- piais ces productions sur de gros cahiers que je cachais sous mes chemises dans mon armoire ; il n'y a pas longtemps que je retrouvai l'un de ces réceptacles de mes premiers essais et j'ai été surpris d'y lire quelques fragments qui vraiment me semblent