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220              LETTRES SUR LA SARDAIGNE.
bourdonnaient; enfin , toutes ces divines harmonies de la na-
ture , qui ne s'entendent que dans les pays solitaires, où le
bruit des hommes ne les étouffe pas, remplissaient les airs,
que parfumaient encore les brises lointaines de Millis. Mais,
insensiblement le paysage se transforma , les arbres se dis-
persèrent, le gazon devint rare et perdit sa verdure , le ruis-
seau s'évapora, et le sentier disparut. Des collines rocailleuses,
hérissées de cactus et d'olivastres se dressèrent sous nos pas ;
nos chevaux, suspendus à leursflancs,glissaient et se cabraient
sous leur cavalier qui s'abandonnait à leur instinct ; puis, ar-
rivés au sommet, il fallait redescendre une pente rapide,
dans un ravin profond , pour escalader encore de nouveaux
sommets âpres et inaccessibles, qui se multipliaient devant
nous. Déjà , à l'Orient, quelques étoiles perçaient l'azur du
ciel devenu plus sombre, tandis que les clartés du couchant
allumaient au front des nuages une frange dorée : en un mot,
la nuit approchait, lorsqu'arrivant enfin sur le dernier pla-
teau , nous aperçûmes devant nous le clocher de tuiles vernies
de Paoli-Latino , que les derniers rayons du soleil faisaient
étinceler au loin comme un fanal conducteur.
   Pendant les trois heures de cette course au clocher, à tra-
vers les monts et les plaines, nous ne rencontrâmes pas une
habitation, pas un visage humain, pas le plus petit objet
digne d'intérêt, si ce n'est pourtant d'abord , l'antre de la
sibylle , où la jurisconsulte Eléonore d'Arborée venait puiser
cette sagesse profonde , encore admirée par les savants , dans
les lois qu'elle donna à son pays : et puis ensuite des monu-
ments étranges, d'une architecture primitive , appelés Nu-
 ragues.
   Quand nous passâmes devant la grotte de la sorcière , mon
guide , sans doute pour conjurer sa maligne influence, se
signa et passa vile. Pour moi, dans la crainte de l'affliger,
je fis à sa superstition le sacrifice de ma curiosité. Toute con-