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116 NAPOLÉON A LYON. — En voici, colonel, en voilà , s'écrièrent à la fois tous les spectateurs de cette scène singulière. Et des cocardes sortirent au même instant du fond de toutes les poches, de la coiffe de tous les chapeaux. 11 s'en trouva en un clin-d'œil de quoi en munir toute une compagnie. Le colonel et ses collègues étaient ébahis ; mais ils finirent par arborer cette maudite cocarde. Enfin , ces Messieurs sortirent du corps-de-garde , suivis de quelques jeunes gens, témoins de leurs changements successifs de résolution, et fredonnant à leurs oreilles ce refrain bien connu de nous ne savons plus quel vaudeville : Non, non , jamais dans la vie , Il ne faut jurer de rien. On vit bien les envoyés s'engager dans la Grand-Rue du fau- bourg, alors encombrée de soldats , de curieux de toute espèce, mais on ignora toujours s'ils avaient pu parvenir jusques à l'Em- pereur, et même s'ils avaient persisté à vouloir s'acquitter de leur mission. On ne les revit plus. Le 10 mars, à la chute du jour, Napoléon, précédé et suivi d'une foule immense, entrait en triomphateur dans la ville que, moins d'une année auparavant, il avait traversé en exilé ; il allait occuper, dans l'espèce de masure qu'on décore à Lyon du nom pompeux de Palais archiépiscopal, les appartements à peine dé- laissés par le comte d'Artois, comme dix jours plus tard il de- vait occuper à Paris la royale demeure des Tuileries, abandonnée à son appproche par Louis XVIII. La ville était universellement illuminée .- jamais il n'y avait eu parmi les habitants autant d'unanimité pour cette démonstration qui ne signifie quelque chose qu'autant qu'elle est libre et spontanée ; les lampions ordinaires ne paraissant pas un moyen suffisant pour la manifestation de la joie publique, les marchands de charbon, dont les magasins flottants stationnent sur la Saône, dressèrent de distance en distance le long des quais Saint-Vincent et Saint- Benoît, d'énormes monceaux de leur combustible et y mirent