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210                    DERNIÈRES JOURNÉES
 temps il échappe ; mais il va être atteint; le cavalier lui allonge un
 coup de sabre. L'arme frappe et se brise sur une borne, derrière
 laquelle le gamin s'aplatit; puis il s'esquive à quatre pattes, se
 redresse, se retourne , fait la nique au soldat, lui joue de la
 trompette avec les deux mains, et lui dit : « T'es donc enragé,
 municipal; t'as été mordu par Louis-Philippe. »
    Lamartine n'a pas été seulement grand, puissant de parole ,
 éloquent dominateur des vagues populaires bondissant au seuil
 de l'Hôtel-de-Ville ; il a eu des mots charmants de saillie et d'es-
 prit. Quelques jours après la révolution, il est invité, en passant,
 par un groupe qui se rafraîchissait chez le marchand de vin ; il
 accepte, et, trempant ses lèvres dans le verre qu'on lui tend, —
 < Messieurs, dit-il, voilà le banquet. » On raconte aussi que ,
 George Sand s'étant présentée à l'Hôtel-de-Ville, il l'aurait reçue
 en lui disant : « — J'ai l'honneur de vous embrasser au nom du
 gouvernement provisoire , et moi j'en ai le plaisir. »
    Aux Tuileries , le peuple a improvisé une de ces Comédies en
 action qui sont partout dans son génie , où il est à la fois per-
sonnage et acteur, et qui montrent comment naît le drame, l'art
scénique, en même temps qu'elles prouvent combien celui-ci est
dans la nature et non pas une chose factice et de convention.
Parmi les combattants, les uns, revêtus de riches habits, de
robes de cour, avec lesquelles il y en eut même qui vinrent se
montrer jusque sur les boulevards ; s'asseyaient gravement sur
les canapés et dans les fauteils. D'autres, endossant les vêtements
des laquais, prenaient un plumeau, et faisaient mine d'épousseter
les glaces et les meubles ; ou bien ils s'approchaient des premiers,
comme pour les servir, — « Jacques, criaient ceux-ci, une tasse
de thé ! un verre de Malaga !» — Et la troupe en livrée répon-
dait à ce jeu par un air d'empressement à obéir. Nous tenons ce
détail d'un de nos amis qui se trouvait là en garde national,
chargé avec d'autres de faire évacuer le palais. Ceux qui s'y
étaient ainsi installés ne voulaient pas en sortir.— « Nous sommes
chez nous , » disaient-ils, et ils se rasseyaient, se renfonçaient
dans leurs sièges. Il fallait s'y prendre avec dextérité , et surtout
ne pas les brusquer, pour les décider à opérer leur retraite. —