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  £aze et de soie, et elles forment des groupes comme dans le Défiaméron
  de Winterhalter, mais un Décaméron sans jeunesse, fané, fardé, à la
  voix fausse et aux grosses mains.—Le petit théâtre est désert,'—le
  grand théâtre est désert: quand j'y entrais, une grosse sylphide
  sautait sans balancier sur le léger fil de soie et d'or que M1Ie Taglioni
  effleure à peine ; seulement, pour la sylphide lyonnaise, on avait
  remplacé par une corde à puits lefilaérien de MUe Taglioni. -r-Les
  autres sylphides portaient des bas de coton sans jarretières. Au
  dehors de ce triste lieu mal éclairé, la nuit était belle et sereine.
  Le rossignol printannier chantait à perdre haleine sur les bords
  fleuris de la Saône. Mais parmi ces oreilles marchandes blasées
 par le son de l'or, quelle est l'oreille digne d'entendre chanter le
  rossignol ?
     — Bon, me dis-je le lendemain, à quoi sert la poésie? Et qui donc
  aujourd'hui veut de la poésie? Loin de nous l'idéal! Il n'y a dans
 le monde que le positif. Vendre et acheter pour revendre et pour
 racheter, voilà îa vie ! A bas les rêveurs ! vivent les marchands J
 Donc vautrons-nous tout à notre aise dans le positif, soyons de notre
 pays et de notre siècle ! Et du même pas, je me mis en route pour
 le chemin de fer. Ici, monsieur, ne pensez pas que vous allez ren-
contrer un chemin de fer comme celui de Saint-Germain, coquet,
 paré, le pied léger, arrivant au but d'un seul bond; non par Dieu!
ce n'est pas cela. Le chemin de fer de Lyon à Saint-Etienne, ce n'est
pas, comme celui de Paris à Saint-Germain, un plaisir, c'est une
affaire. Cette fois, le charbonnier, le forgeron, remplacent le gentil-
homme ; plus de fleurs, plus d'éclats de rire, plus de fraîches toilettes,
plus de douces causeries à voix basse, mais du fer, de la houille, de
gros spéculateurs, des gens d'affaires qui calculent ou qui dorment.
Le chemin de Saint-Etienne, c'est la spéculation, rien de moins,
rien de plus.
     Aussi bien le chemin de Saint-Etienne est rechigné, renfrogné,
mécontent, mal peigné ; il ne part qu'à ses heures, et il part lente-
ment. Il fait plus de cas d'un ballot que d'un homme ; il donnerait
toute l'Académie Française pour deux wagons de houille. C'est qu'il
a été construit pour la houille et non pour l'homme; donc que
l'homme attende ! Comme aussi le chemin de fer ne sait qu'une ligne,