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                   UN FUSIL QUI A PKUR                     133

tombé à mes pieds; mais quand le bruit eut cessé et que la
fumée se fut dissipée, je vis Denfert, toujours sur le seuil
de la porte, qui me regardait en riant.
   Je ne comprenais pas pourquoi le colonel riait ainsi,
lorsqu'il m'interpella :
   — Comment, caporal, c'est ainsi que l'on tient un fusil ?
   O h ! malheur! mon fusil que j'avais, avant l'arrivée de
l'obus, au port d'armes, à mon bras droit, était toujours
dans la même position, mais... à mon bras gauche!
   J'étais confus; je sentais le rouge me colorer le visage.
   Denfert riait toujours; il fit un pas en avant et, en me
donnant de légères tapes sur l'épaule, il me dit : — Allons,
allons, remettez-vous, mon ami, l'homme n'a pas bronché,
je l'ai constaté, c'est le fusil qui a eu peur.
   Du regard, je le remerciais de ses bonnes paroles, lorsqu'il
me demanda encore : — De quel bataillon, étes-vous ?
   — Du I er du i6 m c , mon colonel.
   — Ah ! ah ! répliqua-t-il, des mobiles du Rhône, alors,
des braves, ceux-là !
   Puis il rentra comme le sous-officier de planton revenait,
avec deux hommes du poste, et me débarrassait de mon pri-
sonnier.
   Je retournai de suite, avec mes deux camarades, aux
Forges, non toutefois sans avoir ramassé, pour l'emporter,
la moitié de la tête de l'obus qui était tombée contre mon
pied gauche et qui était encore brûlante lorsque je la saisis.
   J'ai rapporté à Lyon cet éclat d'obus, il est toujours sur
mon bureau et me sert de presse-papier, tout en me rappe-
lant le jour où, d'après la parole de Denfert, mon fusil a eu
peur.
                                        Joseph BERGER.