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AU PAYS DES CHOTTS 289 sans bruit hermétiquement voilées, semblables à de grands paquets blancs dans leurs kaïks dont elles s'enveloppent comme d'une armure contre les yeux profanes. Mais pour aujourd'hui, ce n'est qu'une vision à peine entrevue. Dès neuf heures du soir, une voiture, nous faisant faire le tour par les nouveaux boulevards tracés en ceinture, nous dépose devant le vieux palais où habite le colonel Jeannerot. Tous les officiers du 4 e zouaves le remplissent déjà et, pour la première fois-en Afrique, nous nous trou- vons en contact avec ce monde militaire gai, vaillant, plein de franchise et de bonne humeur, que nous serons toujours si heureux de rencontrer à nos différentes étapes. Et le retour est merveilleux, passé minuit, au milieu des ruelles tortueuses de la vieille ville. Tout dort, le silence est com- plet; à peine de loin en loin s'éclaire la lueur tremblotante d'une lanterne, tandis qu'au-dessus de nos têtes, entre les pans de murailles grises scintille une bande de ciel clair, presque lumineux maintenant, piqué d'étoiles d'or. Rien de plus curieux que les Souks. Imaginez une ville dans la ville; mais une ville à part avec des rues voûtées, fermées, de distance en distance, par de lourdes portes qui en séparent les quartiers, des boutiques innombrables, étroites, pressées les unes contre les autres, bariolées de couleurs vives,, un air rempli de senteurs indéfinissables, grisantes, une population d'acheteurs et de courtiers, allant, venant, se coudoyant sans se presser jamais dans un clair obscur de mystère. C'est un tableau inoubliable, c'est l'Orient. Les marchands, eux, leurs babouches rangées devant leur porte, accroupis au fond de leur minuscule magasin bondé de marchandises, attendent la fortune, résignés, immobiles, endormis par la tiédeur du jour et l'arôme du tabac. N° $.—Mai 1898. - ]q