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LA VENUS DE MILO 247 pour leur demander des détails précis et circonstanciés sur la perte d'un membre, dont la privationest peut-être, —pour eux, — une source de perpétuelle affliction? Ce manque de discrétion ne passerait-il pas à l'état de comble, si le même monsieur s'avisait de proposer, d'em- blée, aux susdits manchots, de leur faire remettre, — à ses frais, — le bras ou les deux bras qui leur manquent ? Eh bien, cette absence de savoir-vivre,— doublée d'une atteinte grave au respect dû aux choses de l'Art, — s'est produit en pleine Académie. . Dans une de ses séances, l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a entendu, — en seconde lecture, — un mémoire de M. Ravaisson sur la reconstitution de la célèbre statue, telle qu'elle devait primitivement exister, et sur la nécessité absolue de lui rendre les bras dont elle est privée depuis si longtemps. L'honorable académicien veut absolument que la Vénus de Milo soit le fragment d'un groupe la représentant côte à côte avec le dieu Mars. De tout temps, — comme dit la chanson, —• les belles aimèrent les militaires ! M. Ravaisson avoue ingénument que cette reconstitution lui a pris dix ans de son existence, dix ans pendant les- quels il [a. entassé moulages sur moulages et fabriqué plus de bras qu'un évêque n'en aurait pu bénir. Il se réjouit et se flatte d'avoir enfin surpris la pensée du sculpteur antique qui, — son chef-d'œuvre terminé, — a très bien pu causer lui-même les bras de sa trop belle Vénus, à seule fin de piquer plus vivement la curiosité de ses contemporains, intention, — du reste, —'qu'eût plus tard Alcibiade en coupant la queue de son chien. L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres était encore