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346                  LE PREMIER AMOUR

rivière et la verdure lisse des châtaigniers. Le murmure de
l'eau, les frémissements du feuillage et les bruissements des
insectes se mariaient en un concert des plus harmonieux et
dans tous les cas d'un accord parfait avec les sentiments et
les espérances confuses qui faisaient palpiter mon cœur.
Rien n'est aussi troublant, rien ne parle plus aux sens,
qu'une belle et vivante soirée d'été, au moins quand les
déceptions de la vie n'ont pas encore refroidi la foi au bon-
heur naturelle à l'homme. Pour moi, j'étais sous une sorte
de charme, sous l'influence de ces trois fées puissantes : la
jeunesse, la nature et l'amour, dont chacune évoquait de-
vant moi ses plus riantes perspectives. C'est ce qui m'arra-
cha l'exclamation involontaire : Ah ! qu'on est heureux à
Vais !
   Ces paroles firent surgir une sorte de fantôme à mes
côtés : on eût dit un de ces diables à ressort qui sortent
des jouets d'enfants ; ce n'était pas toutefois un diable, mais
simplement un chasseur que je n'avais pas aperçu sur le
bas parapet de la route où il était assis et que mon excla-
mation avait fait tressauter.
   — Pardieu, dit-il, jeune homme, il fait bon entendre
parler ainsi, car c'est rare. On voit que vous n'êtes pas un
vieil habitué de Vais       ni de la vie. Vous voyez tout en
rose. Dieu veuille que cela dure longtemps !
   — Merci, Monsieur, de ce bon souhait, lui répondis-je.
Permettez-moi de souhaiter à mon tour que Dieu vous gué-
risse de l'humeur noire dont vous semblez atteint.
   Le chasseur s'était approché.
   — Ah! dit-il, je vous reconnais. C'est vous qui faisiez
danser tout à l'heure Jeanne la Morte
   Il s'interrompit en voyant l'impression pénible que ce
langage produisait sur moi.