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D'UN VIEUX GROGNARD 347 — Excusez-moi, ajouta-t-il. Je me suis servi du seul nom sous lequel cette demoiselle m'est connue, mais, vous pouvez le croire, sans aucune intention blessante ni pour elle ni pour vous. Saisissant l'occasion au vol, je demandai à mon interlo- cuteur s'il savait pourquoi l'on avait donné un surnom si funèbre à cette charmante enfant. — Je pense, répondit-il, qu'il y a là simplement un de ces petits traits de jalousie féminine qui déparent parfois la plus séduisante moitié du genre humain. Il paraît que la jeune fille est d'une santé incertaine, qu'elle est sujette à des crises pendant lesquelles elle perd momentanément la vue, et c'est le prétexte qui a servi à de bonnes âmes pour l'enterrer avant l'heure. Cette explication me soulagea et je me hâtai de parler d'autre chose. Les sentiments que je commençais à éprou- ver pour Jeanne se traduisirent dans ma bouche par une admiration enthousiaste pour l'endroit qu'elle habitait. Je ne sais si mon inconnu fut dupe de cette duplicité enfantine. Dans tous les cas, il feignit de la prendre au sérieux. — Vous avez raison, jeune homme, me dit-il, car Vais est bien un des plus jolis nids de verdure et d'illusions que le Vivarais cache dans son sein. Je suis enchanté que vous ayez saisi le charme de ses montagnes. L'homme qui comprend la nature ne peut être méchant. Quand tout lui rappelle la sagesse, la puissance et la bonté du grand In- connu, il ne peut s'abandonner à ces vices bas et vils que développent l'extrême misère ou l'excès des richesses, l'ignorance ou l'orgueilleuse science. C'est aussi à la vue des merveilles de la création que le génie de l'homme s'al- lume et c'est là que les artistes et les écrivains illustres ont puisé leurs plus sublimes inspirations. L'esprit humain,