page suivante »
36 LE NUMÉRO 21 Mais j'avais beau me plonger dans une méditation appro- fondie des annonces, le sommeil ne venait pas. Je m'agitais sur mon oreiller, m'accoudant tantôt à droite, tantôt à gauche, me relevant sur mon séant ou me laissant couler au fond du lit. Tout à coup je me levai, me donnant pour prétexte d'al- ler prendre un livre dans mon pardessus de voyage, mais en réalité pour quitter cette couche où je ne pouvais fermer les yeux une seconde, sans que mon imagination ne m'en montrât les draps tachés de sang. Ce dernier motif était si bien celui qui m'avait poussé hors du lit, qu'une fois debout, je ne pus me décider à y rentrer et que je passai un vêtement. J'allai droit à la fenêtre et je l'ouvris. On était à ce moment charmant de l'année où le prin- temps a définitivement chassé l'hiver. Les verdures s'épa- nouissent, les chauds rayons de midi dégagent de la terre un baume qui ravive, mais les nuits sont encore fraîches et la clarté des étoiles vous causerait volontiers de petits frissons. Par exception, la nuit était assez douce. Les arbres du quai, sur lequel donnait ma chambre, avaient d'impercep- tibles balancements, et la lune étendait sur la rivière comme une gaze d'argent, flottant au gré de l'eau. Je ne pus me résoudre à fermer cette fenêtre qui me mettait en communication avec un monde extérieur. Pour combattre l'air du dehors qui, à la longue, fût devenu dan- gereux, je préférai mettre une allumette à quelques bûches oubliées dans la cheminée. Feu flamblant dans l'âtre et fenêtres ouvertes, c'était un des royaux plaisirs de Louis XV.