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432                  LE PREMIER AMOUR

   Quand il eut détaché ses regards de la malade, il fit un
signe à Airelle qui me dit alors dans l'idiome local :

  — Mon père demande pourquoi tu es venu cette fois
sans le prêtre.
   Je répondis que le prêtre n'était plus mon précepteur,
mais qu'il dirigeait une paroisse à laquelle appartenaient les
deux dames qui venaient solliciter son assistance.
   Le Grand-Pâtre siffla successivement plusieurs de ses
bêtes qui s'écartèrent dans diverses directions et chacune
revint bientôt avec une plante différente dans la bouche.
  Le guérisseur me remit tous ces spécimens, sans sortir
de son mutisme habituel, avec un geste que sa fille inter-
préta ainsi :

  — Dis au prêtre que la santé de la demoiselle est dans
ces herbes.
   Le Grand-Pâtre se mit à genoux et fit une prière silen-
cieuse. Jeanne, sur l'indication d'Airelle, vint baiser le tau
sur son épaule droite. Au bout de quelques minutes, le
guérisseur se releva et, sifflant son hétérogène troupeau, se
remit en marche avec lui.
  Jeanne, en proie à une émotion visible, embrassa Airelle
avant de s'en séparer. Il me sembla que celle-ci pleurait et
souriait à la fois. Je vis certainement une larme perler sur
sa paupière, et sachant que cette étrange enfant avait le
don de lire dans la pensée du sorcier, je ressentis comme
un serrement de cœur.
  Airelle en partant se retourna et me dit :

  — Dieu protégera la jolie demoiselle. Dis-lui qu'Airelle
ne l'oubliera pas.