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268 LE PREMIER AMOUR donnait, le lait de ses chèvres, et en été des baies d'airelles, des fraises et des framboises, seuls fruits de la région, formaient sa nourriture, et je n'ai jamais vu une si robuste santé. En fait de société humaine, le vieillard n'avait le plus souvent que celle d'une petite fille, âgée d'une dizaine d'années quand je la vis pour la première fois, le plus délicieux type de montagnarde que l'on pût imaginer. Il paraît, d'après le récit de l'abbé Velay, que cette enfant lui était tombée du ciel ou à peu près. Elle était née depuis quelques semaines au-plus quand le sorcier la trouva un matin vagissant dans un lit d'airelles parmi les débris rocheux du pic de la Cocoluda. — Il siffla sa chèvre favo- rite qui vint se coucher près de l'enfant, lui offrant son pis noir perlé de gouttes blanches. La petite suça avidement sa nourrice poilue. Quand elle fut bien repue, elle ouvrit de grands yeux noirs et sourit au sorcier qui se sentit aussitôt pour la pauvre abandonnée des entrailles de père. Grâce à ses soins, au bon lait et au grand air du Tanargue, l'enfant poussa comme une vigoureuse plante de montagne. Le curé de Loubaresse, ayant su l'aventure, vint baptiser sa nouvelle paroissienne et, comme il demanda au Grand Pâtre le nom qu'il fallait lui donner, celui-ci montra une branche d'airelle. En conséquence, le bon prêtre la baptisa sous le nom de Marie Airelle afin de satisfaire à la fois l'église et le parrain. Mais la petite fille n'était connue dans la contrée que sous le nom d'Airelle, et elle tenait de cet arbuste une grâce sauvage, un parfum âpre et doux, qui lui créaient une physionomie très originale et très piquante. Un autre que le Grand-Pâtre aurait mis l'enfant en nour- rice. Mais le sorcier, outre qu'il n'avait pas d'argent, com- prenait autrement les devoirs que la Providence lui avait