page suivante »
I LE 264 PREMIER AMOUR raires et champêtres, dont j'ai hérité en partie et que les agitations de ma vie ne m'ont pas fait perdre. C'était un fort honnête homme, mais passablement rêveur. Quant à l'abbé, il était également entiché de botanique, de méde- cine et de littérature, et son influence sur mes idées et ma destinée a été, en somme, beaucoup plus grande que celle de mon père. L'abbé Velay avait pour les fleurs et les simples une véritable passion, et son bonheur était de courir les mon- tagnes pour étudier les plantes et m'en faire connaître les noms et les vertus. Une fleur le plongeait dans des ravisse- ments infinis. Il disait que la grandeur et la puissance divines ne se montrent nulle part avec autant d'éclat que dans le règne végétal. Je l'ai vu passer des heures entières à contempler des capucines ou des fraxinelles pour voir si, comme l'aurait constaté, dit-on, la fille de Linnée, il s'échappe de ces fleurs des vapeurs électriques inflammables avec une lampe. Mon digne précepteur était convaincu que chaque déran- gement de la machine humaine a, dans les espèces végé- tales, sa contrepartie, c'est-à -dire un remède spécifique dont le Créateur a laissé la découverte aux soins des intéressés. Il faisait observer que les animaux se guérissent beaucoup mieux avec les herbes curatives que l'instinct leur fait dé- couvrir dans les champs, que nous ne le faisons nous- mêmes avec toute la science des médecins et tout l'arsenal des apothicaires. L'abbé avait en grande estime un excentrique personnage qui passait sa vie sur les hautes montagnes, entouré d'ani- maux de toute espèce : des chèvres, des porcs, des mou- tons, des chiens, et même des oies et des poules, sur les- quels il exerçait un pouvoir occulte, qui le suivaient partout,