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                         LITTÉRATURE.                     123

   jardins d'Epicure parler comme un disciple du Portique,
   presque comme un chrétien. Ge mot ne vous paraîtra pas
   exagéré quand nous lirons ensemble tant de passages
   sublimes sur la fragilité des choses humaines, sur le vide
   de la vie, sur l'amertume qui se mêle aux joies les plus
   désirées. On croirait parfois entendre l'austère sagesse
   de l'Ecclésiaste écrasant sous son dédain tout ce qui est
   de l'homme, ou la voix tout ensemble si fière et si pathé-
   tique de Bossuet lorsqu'il nous signifie notre néant.
      Mais ce que nous étudierons surtout dans Lucrèce,
  bien plus que le philosophe et le moraliste, c'est le
  poète. Je le comparerai à ses prédécesseurs, à Ennius,
  au satirique Lucilius, pour vous montrer quel progrès il
  a fait faire à la langue poétique et à la versification des
  Latins; puis d'un autre côté, à ses illustres successeurs
  du siècle d'Auguste, qui l'ont si souvent imité, et auprès
  desquels, quoique moins parfait, il asa place et sa gloire
  du moins égale, sinon supérieure, par des mérites qui
  compensent ses imperfections. Plus inégal, plus rude,
  moins châtié, il n'a point encore entièrement dépouillé
 ce qu'Horace appelle les restes de l'ancienne rusticité.
 Il n'a pas la souplesse, l'élégance constante, le poli bril-
 lant d'Ovide, d'Horace, de Virgile ; mais on est tenté de
 croire que sa sève est plus vigoureuse. C'est comme
 un de ces fruits qu'une longue culture n'a point encore
 tout-à-fait adoucis, mais qui n'en ont que plus de saveur;
comme une plante encore un peu sauvage à laquelle l'art
du jardinier n'a pas donné toute la perfection de forme et
de couleur dont elle est susceptible, mais dont les grâces
natives et le jet puissant ne nous en plaisent que davan-
tage. J'emprunte ces images, Messieurs, à de belles pages