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DU CHATEAU DE VAREY. 79 douter que bientôt celui-ci, reconnaissant, lui conserverait à son tour la vie et la couronne, au risque d'attirer sur sa tête toute la colère et la vengeance du Dauphin. Pendant que Tournon crie vainement et appelle sans être entendu, Auberjon menacé veut défendre sa conquête, mais il a trouvé des lances trop puissantes pour son bras. Boczezel et Entremonts le renversent, le jettent sur la poussière et, le laissant expirant, mettent le prince sur un cheval, (1) le main- tiennent entre eux et, après des peines infinies, lui font tra- verser les marécages et la rivière. Edouard n'aplus conscience des événements; il s'abandonne à ses conducteurs, se livre à leurs soins et sait à peine qu'il se trouve en -sûreté dans les murs du château de Pont-d'Ain. Mais à présent que le prince est h l'abri, à présent que nul danger ne le menace, l'honneurappelle les deux vaillants guer- riers sur le champ de bataille où meurent leurs frères. Le sang de la Savoiecoule à flot.Là bas, les Savoisiens tombent sous les coups des Dauphinois ; le devoir est inflexible, on ne transige pas avec lui ; là est leur place. Le secours qu'ils ont donné à leur souverain ne doit pas ressembler à une fuite ; à grand peine, à grand danger, ils retraversent la rivière ; au trot de leurs chevaux épuisés, ils reviennent où ils entendent d'hor- ribles clameurs, se rangent à côté de leurs frères vaincus, supportent avec eux l'effort irrésistible de l'ennemi, luttent jusqu'à l'épuisement de leurs forces ; mais la mort ne veut pas couronner leur dévouement; ils succombent, et pourtant ne sont que prisonniers. Boczezel, Entremonts, et loi vaillant inconnu, pauvre Bra- bançon tombé si loin de ton pays, que n'ai-je la plume d'or des poètes pour immortaliser votre gloire ! J'ai vu le champ de (1) « Edouard devait être blessé, puisque ses libérateurs le mirent à cheval. » Lateyssonnière, tom. III.