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56                       LE SANS-GÈNE.

aventures un thème propice à composer un livre, chacun, dis-je,
au lieu de se borner à lire des nouvelles, a désiré s'en faire
l'auteur, et souvent le héros !
    Alors a fourmillé ce genre d'ouvrages où la couleur locale se
produit surtout au moyen du patois du pays dans lequel se
passent les événements racontés, sans omettre les fautes de
langue qu'on y fait, les noms de famille qu'on y porte, et qui
nous fournira bientôt un glossaire complet des mauvaises locu-
tions et des termes impropres de tous les pays où se baragouine
le français.
    Puis, si l'on était quelque peu las des ducs, marquis, comtes,
barons et chevaliers, héros éternels des romans du siècle passé,
 le nôtre fait, il faut en convenir, une consommation bien con-
 sidérable de roturier^, de paysans et de petits bourgeois dont la
 plupart fort intéressants forment comme une procession de prix
 Monthyon où défilent des dévouements en blouse et des vertus
 déguenillées, le tout encadré dans des croquis consciencieu-
 sement travaillés , des galetas, bouges et taudis où végètent ces
 victimes ignorées du sort qui, si vertueuses qu'elles soient
 d'ailleurs, se sentent de leur manque d'éducation, et nécessitent
 de la part de l'auteur qui les évoque dans ses peintures le narré
 fidèle de leur mode de vivre plus rempli de trivialités que d'élé-
 gance, et de mille petits détails dont le sans-gêne fait autant la
 base que le mérite.
    Mais c'est plus malheureusement encore que le sans-gêne
a fait éruption au sein des opinions religieuses qu'il tend à
anéantir.
   Dans le siècle dernier, le christianisme fut en butte aux
attaques passionnées et incessantes des philosophes. Ecrasons
l'infâme était le mot d'ordre, le delenda Carthago des encyclo-
pédistes, et les coups réitérés qu'ils lui portèrent prouvaient la
vivacité de ses croyances chez ceux qui lui restèrent fidèles.
Aujourd'hui, des penseurs et des poètes dont les talents sont
prisés, dont les œuvres sont louées, font table rase de la religion,
s'en embarrassent aussi peu que si elle n'existait plus, et élèvent
à sa place le système nouveau dont chacun d'eux se constitue