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26 DU SURNATUREL est le grand miracle qui surpasse infiniment ces jouets de merveilleux dont on cherche a nous amuser ou à nous sur- prendre. C'est sur elle non seulement que toute l'organisa- tion physique du monde repose, mais encore que sont fon- dées les croyances habituelles du genre humain. Les philo- sophes ont parfaitement reconnu que l'induction, cet instru- ment logique qui sert a diriger la pratique presque entière de notre vie, a pour base la permanence des lois de la nature. Supposez que ces lois n'aient plus rien de fixe et de certain, que le prodige puisse les renverser, que, par exemple, l'opa- cité de la matière se convertisse en un rideau transparent a nos regards, que les distances s'évanouissent dans l'espace pour nous permettre de voir ce qui se passe à cent lieues de l'endroit où nous sommes, que de même le temps futur se dévoile a nous dans l'instant présent, laquelle en vérité des lois de la nature pourrait être plus solide que celles qui auraient été ainsi brisées ? Et quelle garantie aurions-nous que le soleil pût se lever demain, si la nature, sans ordre constant, était à la merci d'une puissance supérieure de l'esprit et devait ployer devant le surnaturalisme? Les thèses surnaturelles, jugées sur leurs seules conséquences, au- raient donc a supporter cette épreuve qu'elles ne pourraient être vraies sans révolutionner le monde physique , les sciences, l'homme, les gouvernements et la logique de tous les jours. Certes,-c'en serait assez pour qu'il n'y eût pas a y regarder autrement. La matière est, quoi qu'on en dise, d'un bon lest. Elle suggérait a Montaigne cette sage et pi- quante profession de foi : « Je suis lourd et me tiens un peu « au massif et au vraisemblable (1). » Elle et ses lois for- ment avec la nature une vivante annexion qui ne se laisse pas rompre ; et si je pouvais donner en passant un avis sous (1) Montaigne, Essais, I. 3, eh. 2