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ET DU MYSTICISME. 11 sensibilité de la nature humaine ; ce mysticisme, quand il s'est exalté, quand il a conjuré toutes les puissances du cœur, quand il a oublié les attaches prudentes par lesquelles nous sommes retenus aux réalités comme aux ancres pré- cieuses qui assurent la manœuvre de l'esprit, nous fait échouer sur des parages où, depuis le goût du surnaturel jusqu'aux plus extrêmes superstitions, s'étend tout un vaste espace bien diversement rempli, occupé par d'innocents jouets, des songes ravissants, de ridicules fantômes, de tristes passions, d'affreuses calamités, de tragiques douleurs, et qui est moins éclairé par la lumière du soleil que baigné dans la lueur blafarde des aurores boréales. Où allez-vous, aurait-on pu demander au XVIIIe siècle d'où nous sortons ? Le siècle hésitait en effet sur sa direction véritable. D'un côté, retentissaient ces fortes maximes de justice, d'humanité, de liberté civile qui paraissaient faire entendre la voix même de la raison, et qui nous acheminaient vers le grand et incomparable événement de la Révolution française. D'un autre côté, vous eussiez dit que les choses marchaient en un sens tout opposé. Une épidémie du mys- ticisme que je tâchais de définir tout à l'heure, était la maladie des esprits, maladie qui avait des racines lointaines, profondes ; sa période d'incubation avait couvert le siècle tout entier. A peine le quiétisme, châtié par le génie sévère de Bossuet, avait-il cessé ses dernières langueurs et renoncé à une manière anéantissante d'aimer Dieu, qui risquait de confondre le saint amour chrétien avec le Nirvana paresseuse- ment extatique de l'Inde ; à peine avait fini aussi le mysticisme protestant, accompagné de délire prophétique, de la guerre des Cévennes, qu'éclatait, dans la première partie de XVIIIe siècle, la folle exaltation des convulsionnaires sur le tom- beau du diacre Paris, et que pendant plusieurs années, la capitale, y compris de fortes têtes du Parlement, se donnait