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422                   LETTRES BAD0ISES.

Rhin, par un beau clair de lune ; ces pauvres Werlhers en
jupon , s'en furent ainsi, entraînées par les flots argentés,
enlacées comme Castor et Pollux, dans les bras l'une de l'autre;
elles s'en furent jusqu'à la mer du nord, doucement bercées par
le fleuve; sur leur passage les Ondines, écartaient les roseaux,
et plus d'un Ondin, les suivit en nageant, et les regardant de
ses yeux glauques, se sentit réchauffé par d'amoureux désirs.
Ce paysage est à vous, Monsieur, si vous voulez vous aban-
donner un instant à votre imagination, qui vous apportera sur
un plat d'argent, comme une fidèle vassale, les clefs de ces
bonnes villes. Maintenant, et c'est là que je vous attends ,
 tournez le dos au Rhin , s'il vous plaît, et, du point culmi-
nant où nous nous trouvons, contemplez les montagnes de la
Forêt-Noire; leurs croupes, hérissées d'unecrinière de sapins,
se chevauchent à l'horizon ; ne dirait-on pas d'un troupeau
de cavales sauvages qui se perdent dans les espaces? Déjà
vous vous écriez avec la Phèdre d'Euripide : « Conduisez-moi
sur ces montagnes , au milieu des bois et des pins » ! Douce-
ment, votre ardeur vous emporte; n'oubliez pas que nous
sommes à quelques kilomètres du sol, en hauteur; sur une
étroite plate-forme ; un faux pas vous précipiterait dans un
abîme d'où radient des écueils de rochers, et des grands
mats végétaux, extrêmement redoutables. Patience, Mon-
sieur , demain nous irons nous promener dans h forêt.
Descendons maintenant par les étroits degrés de pierre, dans
les vastes cours aux ogives gothiques, puis de là, sortons par
les corridors en pente : leurs murs épais ont laissé passer
quelques branches de chênes qui forment des arcades pitto-
 resques. Au pied du vieux Burg, des tables sont dressées
sur une place ronde ombragée par les pins. A toute heure,
les familles allemandes y prennent du café au lait; un peu plus
loin , les cochers boivent leSchnapps, pendant que leurs che-
vaux mangent l'avoine.